Casser les verrous numériques n'est pas un délit

par Astrid GIRARDEAU
publié le 29 juillet 2008 à 13h00

I l y a deux ans , trois kamikazes d'un style particulier entraient dans un commissariat du Ve arrondissement de Paris pour se livrer à la police. Ces membres du collectif StopDRM venaient s'auto-dénoncer dans le cadre d'infractions à la loi DADVSI (relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information). Ils espéraient ainsi obtenir un procès et être relaxés. Dans des correspondances datées du 21 juillet 2007 , le Tribunal de Grande Instance de Paris a classé l'affaire sans suite.

Promulguée depuis le 1er août 2006, la loi DADVSI punit l'adepte de téléchargement illégal, mais aussi celui qui contourne un système de protection numérique. Elle interdit par exemple de transférer sur son Zune les fichiers d'un CD protégé par DRM ou de supprimer le verrou format Windows Media d'un morceau acheté en ligne afin de pouvoir le lire sur son iPod. Le consommateur est donc censé acheter le dernier album de Carla Bruni ou des CSS autant de fois qu'il utilise de supports différents (PC, baladeur MP3, téléphone portable, auto-radio, etc.). C'est pour dénoncer cette absurdité que, le 22 septembre 2006, Jérome, Stéphane et Tangui, «apôtres de l'interopérabilité» , se sont livrés. Leurs crimes ? Le déverrouillage des DRM de fichiers achetés sur FnacMusic (format PlayForSure) et sur iTunes (format FairPlay) pour pouvoir les transférer sur un baladeur, l'utilisation de DVDdecrypter pour pouvoir lire un DVD sur un baladeur vidéo, et l'utilisation d'un logiciel libre pour lire un DVD sous GNU/Linux. Des délits passibles de 750 à 3750 euros d'amende. Aussi, en vertu de la loi, Jérôme M. risque 30 000 euros d'amende pour avoir publié sur son site un mode d'emploi pour supprimer les DRM d'œuvres achetées.

Ce dernier disait alors : « Ce dont nous avons peur, c'est plutôt de ne pas avoir de procès. Ce qui signifierait que les autorités souhaitent éviter la publicité autour de ce problème, et espèrent enterrer le mouvement. » Aussi, ils répétaient l'opération le 16 janvier 2007 pour manifester leur désaccord avec la publication au Journal Officiel du premier décret de la loi DAVDSI .

Il aurait fallu attendre près de deux ans pour que le Tribunal de Grande Instance de Paris rende son avis et classe finalement l'affaire sans suite. Le parquet du procureur de Paris a en effet estimé que «des motifs d'ordre juridique empêchent la mise en œuvre d'une poursuite pénale. En effet, la loi interdit toute poursuite pénale à l'encontre d'une personne considérée comme irresponsable dans les trois cas suivants : troubles psychiques, légitime défense ou force majeure » . Le cas n'a pas été précisé, mais c'est celui de force majeure qui parait le moins mal approprié.

Pour le collectif StopDRM, cette décision montre «que la loi DADVSI est bel et bien inapplicable» alors même que, parallèlement, «le Conseil d'Etat vient de rendre un avis autorisant la désactivation des DRM par décompilation» . Même si le DRM est juridiquement affaibli, ils rappellent que la lutte n'est pas finie : «les verrous sont toujours bien présents sur la musique et la vidéo (DVD, Blu-Ray et VOD), et commencent à menacer la littérature pour les livres électroniques» . Ils estiment enfin que «cette loi qui veut cadenasser la diffusion de la culture est anachronique et devrait être abrogée et non renforcée du nouvel appareil législatif en préparation au gouvernement» . Aussi, «pour ces mêmes raisons» , le collectif apporte son soutien à la lutte contre le projet de loi Hadopi/Création et Internet.

Sur le même sujet :

_ - Trois hommes et un coup fin (22/09/2006)

_ - Les StopDRM de nouveau arrêtés (16/01/2007)

_ - Les DRM ont fait leur temps (27/11/2006)

_ - La loi DADVSI en application (02/01/2007)

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