Critique

Suivez mon Renard !

Fourrures. D’un humour débridé, «Fantastic Mr. Fox» raconte les exploits plus ou moins désastreux d’un gentleman des terriers. Une nouvelle réussite de Wes Anderson.
par Mathieu Lindon
publié le 17 février 2010 à 0h00

Comme dans les contes de fées, un des charmes de Fantastic Mr. Fox, inspiré d'une nouvelle de Roald Dahl (écrivain gallois mort en 1990 et auteur, entre autres, de Charlie et la Chocolaterie), provient de la coexistence d'univers qu'il contient : par exemple, l'enfantin et l'adulte, l'animal et l'humain, le quotidien et l'extraordinaire. Les personnages sont des marionnettes animées et avec un système d'animation qui, au lieu de vingt-quatre images par seconde, en offre parfois douze doublées pour ôter un supplément de réalisme. Car distance et proximité sont aussi un couple du sixième film de Wes Anderson (après la Vie aquatique, A bord du Darjeeling Limited), le cinéaste américain d'aujourd'hui 40 ans.

Maître Renard et sa femme ont les voix de George Clooney et Meryl Streep (Mathieu Amalric et Isabelle Huppert en français), Blaireau ayant celle de Bill Murray. Tous les gentils sont des animaux (même si le «rat psychotique» est un méchant). Tous les animaux ont des préoccupations et des conduites humaines, trop humaines.

«Bretzel». On suit d'abord Mr. Fox profitant des bienfaits du cinéma d'animation pour parcourir dans toutes les positions, à toute vitesse et en cachette, la distance qui le sépare du lieu où il peut enfin voler des poules. On le regarde ensuite expliquer, technique à l'appui, pourquoi il ne risque pas qu'une cage à renard lui tombe dessus au moment même où elle lui tombe dessus, le contraignant à changer de carrière.

On le retrouve reconverti en chroniqueur dans la presse écrite et lisant sa propre chronique dans un tableau familial impeccable même si son fils rechigne à aller à l’école et à se laver les dents. Par leurs gestes ou leurs expressions - les yeux des personnages sont de la plus grande importance -, les marionnettes animées laissent tout passer de leurs sentiments. Il faut voir les agents immobiliers l’accueillir pour achever de le convaincre d’emménager dans un hêtre au-dessus de ses moyens (hêtre ou ne pas être est son snobisme) pour comprendre les aléas du logement dans le monde occidental.

C'est de là qu'il décide de s'en prendre aux trois gros fermiers, chacun infâme à sa manière, près desquels il est désormais installé. Mr. Fox est un m'as-tu-vu sans tact excessif, ne proposant une alternative à sa femme que pour insister quand elle en choisit le mauvais terme et ménageant considérablement ses compliments à son fils pour ne les déverser par tombereaux qu'à son neveu. Celui-ci serait plutôt du genre méditatif, expert en yoga, si bien que le fils lui demande ce qu'il fabrique avec ses jambes «en bretzel». Et l'image est implacable à cet instant : le renardeau a bien des jambes en forme de huit et de nourriture juive. L'ironie elle-même est double : qu'un adepte du yoga, fût-il renard, ait forcément des membres ainsi disposés quand il pratique sa technique, et qu'un autre renardeau soit aussi expert en un vocabulaire gastronomique qui apparemment ne le concerne guère. Quand Mr. Fox ou sa femme sont «rayonnants», la lumière se met concrètement à l'unisson.

O.K. Corral. L'aspect à la fois humain et animal des animaux est un des gimmicks du film : il n'y a que lorsqu'ils mangent, même des biscuits, que les animaux sauvages sont vraiment des animaux sauvages. Les décors, spécialement réussis, tiennent à la fois du merveilleux et du plus urbain, des paysages ocre au supermarché pour habitants de la forêt en passant par le rythme échevelé de creusement d'un tunnel ou l'aménagement des divers terriers que se constituent les animaux.

Mais l'œuvre n'est jamais franchement parodique parce que cet univers-là coexiste également avec la vraisemblance, une sorte de vraisemblance. Il semble qu'il y ait une volonté quasiment exhaustive de Wes Anderson de mobiliser tous les imaginaires : Mr. Fox danse plus ou moins avec un loup, la musique adéquate accompagne l'immobilité représentative du village en attente qui annonce le règlement de compte à O. K. Corral ou ailleurs, un sport incompréhensible qui paraît une exagération du base-ball surgit avec une animation toute particulière tandis qu'à d'autres moments, en pleine action et réflexion mêlées, les animaux parviennent à faire de leur refuge souterrain une sorte d'équivalent de la défunte cellule antiterroriste où œuvra si longtemps Jack Bauer dans 24 heures.

La solidarité est en effet comme un thème commun à ces images diverses. Et il y a presque toujours quelque chose d’émouvant dans l’humour du film.

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