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Libération

Sur RTL, la nuit la plus Lang

par Tania Kahn
publié le 20 décembre 2012 à 11h01

Quelques heures après le crépuscule, sur les ondes, perce le timbre chaud et buriné d’une voix rassurante. Ce papillon de nuit, posé sur les fréquences hertziennes, c’est Georges Lang, 65 ans, et il s’envole vers sa quarantième année à la tête des Nocturnes, l’émission de nuit de RTL aux 100000 auditeurs.

Minuit à peine ce soir-là, qu'il dévoile déjà son premier disque : Girl in a Coat , de Blitzen Trapper, un groupe de country-folk originaire de Portland, dans l'Oregon. Les vibrations d'une guitare s'entremêlent au souffle d'un harmonica et invitent au voyage, celui des conquérants de l'Ouest. Ça fleure bon le continent américain. Le second tour de piste est décerné à Ryan Adams avec son titre Kindness, suivi de la très jeune Selah Sue, à la tessiture soul et groovy. Georges Lang est un amoureux fou de musique made in USA, jazz, blues, rock, folk, country… Un tropisme né dans les années 60, à Metz. Lang est alors baby-sitter dans une famille américaine établie en Lorraine et à la discothèque bien fournie. Il découvre Miles Davis, John Coltrane, Fats Domino, Ray Charles… Lang adolescent se passionne pour la radio, et surtout pour les disc-jockeys des fréquences pirates.

Il n'émet pas offshore, comme la mythique Radio Caroline à son époque, mais depuis son studio à l'épaisse moquette bleue, dans le quartier huppé du VIIIe arrondissement parisien. Un endroit cosy, plongé dans la pénombre, où le silence est d'or. On s'y sent bien pour passer la nuit. Alors, sous nos yeux, en digne représentant d'une radio exhumée du passé, il ne prépare pas sa programmation et choisit ses titres au feeling : «Il n'y a pas de thématique dans les Nocturnes, c'est une ambiance, un état d'esprit.» C'est ce qu'on appelle le freeform radio, lorsque le disc-jockey est seul maître à bord.

L’émission est truffée de jingles au refrain nostalgique des sixties ; se succèdent à toute vitesse chœurs a cappella, fonds sonores et raccourcis, à l’américaine. Comme ses aînés, Lang règle le volume à la main et parle volontiers sur les premières notes des morceaux, parfois un peu cabot, glisse une anecdote ici, un souvenir là. D’autres fois, silencieux, il savoure une longue succession de titres, jusqu’à trente minutes d’affilée.

A l'orée de la première heure, Georges Lang envoie deux titres de Glen Campbell et retire son casque d'où s'échappent quelques bribes d'un son poussé au maximum pour narrer l'épopée de ce chanteur de country trop vite rattrapé par un Alzheimer. A l'écran clignote le compte à rebours, c'est le temps qu'il lui reste avant d'enfiler à nouveau son casque et de chuchoter, un accent américain dans la voix grave : «The music and nothing else.»

Depuis son tableau de bord en demi-lune, un côté pour ses invités et l'autre pour lui, truffé d'écrans et de bitoniaux, Lang maîtrise tout. Pas stressé, plus inquiet de la panne technique (c'est déjà arrivé) que des bafouillis, son unique comparse, niché dans une autre pièce, est un technicien, qui veille sur lui, via une caméra, «de peur que je m'endorme» , aime-t-il à plaisanter. Autour de sa chevelure grisonnante, des disques, méticuleusement rangés, car la mémoire du mélomane est d'abord visuelle. Un boîtier sorti correspond à un autre rangé. «Au bout de quarante années, vous imaginez le nombre de musiques qui circulent dans ma tête…»

Ces pépites lui appartiennent pour la plupart, mais le véritable trésor se trouve chez lui: près de 250000 disques et vinyles stockés dans le sous-sol de son cocon luxembourgeois, d'où il fait des allers-retours avec la rue Bayard, à Paris. Bien sûr, tout est passé à la moulinette de la numérisation, mais «pour les Nocturnes, vous comprenez, il y a trop de références c'est impossible» . Alors, à la nuit tombée, il alterne entre disques et fichiers numériques. D'ailleurs, de l'un à l'autre format, cette oreille aguerrie ne perçoit guère de différences. «En plus, la musique passe par un traitement de son FM, un peu compressé, cela donne une radio de caractère.»

Les aiguilles indiquent bientôt 2 heures, le rythme s'emballe et enclenche une virée du côté de Woodstock avec les Ten Years After. Suivi, toujours live, du très animal Whole Lotta Love de Led Zeppelin. Georges Lang accompagne le tempo de balancements de la tête, puis mime carrément les mouvements du guitariste. Inutile de traquer une humeur ou un quelconque message à travers sa programmation : «On me prête souvent des intentions, on m'envoie des mails pour me dire : "Tu n'as pas le moral ce soir", mais non, je ne fonctionne pas comme ça.» Du coin de l'œil, il surveille les mails postés par ses auditeurs au cours de la nuit. La jeune génération l'écoute aussi - surprenant pour celui qui pensait n'avoir apprivoisé que les oreilles nostalgiques des seniors, ou celles égarées d'une faune noctambule. Parfois, il reçoit des messages «gênants». Des anecdotes ? Il ne s'en «souvient pas» ou préfère rester discret.

Les Nocturnes vont bientôt rendre l'antenne, la nuit est déjà bien avancée, presque 3 heures du matin. Alors il envoie un dernier titre, Just the Two of Us , avant d'aborder la route qui le mènera à son pied-à-terre parisien, tandis que les auditeurs empruntent celle qui les conduira tout droit jusqu'au petit matin.

Paru dans Libération du 19 décembre 2012

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