TF1 fait l’amour dans le pré de M6

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 11 janvier 2013 à 19h56

Que les hommes se marient entre eux, pas de problème. Que les femmes s'épousaillent à tour de bras, on dit oui. Mais le mariage pour tous, doucement quand même. Notre société n'est pas prête à tout, et nous demandons l'ouverture d'un grand débat national : peut-on, en toute impunité, autoriser un disc-jockey de Radio Vallée, station locale de Breil-sur-Roya (26 habitants au kilomètre carré), à s'unir légalement à Diana, Yelina ou Priscilla, jeunes et urbaines mousmées ? D'un coup, on a la tolérance qui branlotte. Et telle est pourtant l'expérience contre-nature à laquelle se livre TF1 chaque jour depuis lundi à 17 h 25 avec Coup de foudre au prochain village en tentant d'apparier gars des champs et sistas des villes. Comment ça, campagnophobes ? Pas du tout, nous avons nous-mêmes d'excellents amis à la campagne…

Bave dans l’oreille

Encore une fois : oui au mariage pour tous. Mais tout de même, TF1, de là à pomper M6, il y a des limites à l'élasticité de notre morale. Disons-le tout net et sans peur des procès en diffamation : Coup de foudre au prochain village est une resucée de L'amour est dans le pré. Ouais, on est comme ça, on balance et personne ne nous fera taire. Après sept saisons du «Tournez moissonneuses-batteuses» de la Six et alors que la huitième s'est entamée justement lundi devant 4,7 millions de téléspectateurs amorçant un nouveau succès d'audience, la Une a fini par dégainer sa réplique. A l'adaptation du britannique Farmer Wants a Wife (que nous traduirons librement par «Paysan chercher femme») en L'amour est dans le pré sur M6, TF1 répond en produisant le norvégien Babes on the Bus. Ce qui donne non pas «les petites pépées dans l'autocar» mais, donc, Coup de foudre au prochain village. Accrochez-vous au concept : vingt citadines écument des bleds afin d'en séduire les célibataires. Et ce, originalité flagrante du format, à bord d'un bus peint en mauve chimique. Et ce, indéniable avantage de TF1 sur M6, sans qu'au générique James Blunt nous bave son poisseux You're Beautiful dans l'oreille.

Bus et flageolet

Des images belles comme un calendrier des PTT instagramisé : l'âne paissant et, au premier plan, flou, un bouton-d'or ; l'onde chatoyante d'une rivière ; un coq Agfacolor. Enluminé comme son original de M6, Coup de foudre au prochain village est commenté off par le sosie vocal (si, ça existe) de Karine Le Marchand, une certaine Julie Taton. Et se présente comme un speed Amour est dans le pré : le premier jour, les poules débarquent et choisissent leur prétendant parmi trois autochtones ; le deuxième, elles découvrent le métier de leur élu ; le troisième, sa famille ; le quatrième, sa maison ; et le cinquième, soit elles s'enfuient à toutes gambettes vers le bus comme l'ont déjà fait plusieurs déçues au cours de la semaine, soit l'amour, machin, tout ce genre de trucs dégueulasses. Mais gare, TF1 - qui produit la chose en interne - tient serré son angle opposant en permanence les citadines aux campagnards. Faut que ça rentre dans la caboche du téléspectateur. Alors, les filles portent des talons de 15 centimètres. On est comme ça, à la ville. «Pourront-elles, s'interroge la voix off, troquer leurs talons aiguilles contre une paire de bottes ?» On est comme ça, à la campagne, on marche en bottes. Et quand le bus débarque sur la place du village, le groupe folklorique est là pour l'accueillir, flageolets et vielles à l'unisson, tambourinaires au taquet et maire (sans étiquette) en écharpe tricolore. Parce qu'on est comme ça, à la campagne, on joue du flageolet. Voici Ylena, Maeva, Sophia, Diana, Linda, Emna, Laura, Priscilla, Barbara et leurs onze autres copines : elles jaillissent du bus en courant sur leurs hauts talons, agitant dangereusement seins et jupettes au ras du frifri. Parce qu'on est comme ça, à la ville : on a le frifri libre.

Cheptel à talons

Du coup, comment croyez-vous qu'apparaissent alors les trois blédards célibataires ? Naaan, quand même pas perchés sur un véhicule utilitaire ? Quand même pas juchés sur une charrette tirée par des Salers ? Quand même pas à cheval ? Et si. Une fois apprécié cet hommage de TF1 au naturalisme de Robert Flaherty, observons le jeu de l'amour et du hasard mijoté dans la grande poubelle à sangria où Angela Lorente, papesse de la télé-réalité sur la Une, fricasse déjà Qui veut épouser mon fils ? et autres L'amour est aveugle. «L'homme idéal pour moi, avance Sophia, c'est Charles Ingalls.» Suffisait de demander : voilà Christophe, maraîcher, on le verra, «tchimide» ; Laurent, notre DJ de Radio Vallée («Plusse que je vieillis, plusse que j'ai envie d'avoir des enfants»), et Yves, sorte d'homme-loup doté d'une douche extérieure à la cabane sans électricité (et sans télé, brrr) perchée à flanc de montagne. Plus une seule fille à marier à Breil-sur-Roya, «toutes parties pour les grandes villes», informe le commentaire : «Autant dire que nos célibataires breillois ont hâte de voir arriver nos jeunes filles» (autant dire que nous, on appelle direct Faites entrer l'accusé). Chacune choisit son chacun qui embarque son cheptel pour lui faire découvrir les joies de la campagne, de la marche sur galets avec talons (gag), de l'escalade avec talons (walking gag) et la promenade à dos d'âne avec talons (running gag).

Les citadines, dont la moitié semble issue de l'usine à télé-réalité de madame Angela sus-citée, déchantent vite. La Marseillaise Maeva abandonne Christophe : «Je te trouve très gentchil, mais tu as un côté trop tchimide.» Et de remonter dans le bus, non sans approfondir son analyse : il est «trop tchimide». Et puis, ajoute-elle, il y a «son côté tchimide». De même Laurent voit-il partir Linda alors que tout semblait bien engagé («elle me regarde beaucoup avec son regard, Linda»). Yves, lui, s'accroche à Barbara, hôtesse («à bord de yachts ou de jets privés»). C'est qu'elle a un je-ne-sais-quoi, Barbara : «Quand tu lui dis bonjour, c'est un peu comme la fête.» L'habitat naturel d'Yves, elle pourrait s'y faire : «Il y a des chèvres, il y a des cacas, c'est naturel», philosophe-t-elle. Mais voilà, elle fait un peu sa mijaurée : «De là à m'asseoir dans un caca, c'est pas très agréable.» CQFD : sur M6, l'amour est dans le pré ; sur TF1, en plus, il y a du caca.

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