TF1 : les vaines heures de Laurence Ferrari

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 1er juin 2012 à 13h43

Pour conclure son tout dernier JT le 10 juillet 2008 après vingt et un ans de bons et loyaux sévices, PPDA avait choisi -- en toute modestie, vous connaissez l'animal -- Shakespeare. Où ira-t-elle piocher, celle qui l'a remplacé et qui, dès ce soir, cédera le fauteuil éjectable du 20 heures de TF1 ? Peut-être Laurence Ferrari reprendra-t-elle la phrase épinglée comme un diplôme de journalisme dans le bureau de son ancienne boîte de prod. Vous savez, celle d'Albert Londres, sur notre beau métier qui est de «porter la plume dans la plaie» . Après quatre saisons de JT passées à la porter assez peu dans la plaie, cette plume, une audience dégringolante et une campagne présidentielle ratée, Laurence Ferrari a annoncé, hier, son départ de TF1.

On est entre personnes bien élevées et le PDG de la Une, Nonce Paolini, n'allait pas virer comme une malpropre celle qu'il a lui-même imposée à la place du totem PPDA, et Laurence Ferrari part gentiment se faire oublier à l'ombre des projecteurs de Direct 8, future propriété de Canal +. Tenez, d'Albert Londres encore : «Notre devoir n'est pas de nous débarrasser du fou, mais de débarrasser le fou de sa folie.» Car l'info de TF1, une fois la façade Ferrari effondrée, révèle un champ de ruine.

«Cela fait quatre ans que je me bagarre pour porter ce journal» , revendique-t-elle dans le Parisien d'hier. Du shadow boxing au vu du résultat. Débauchée de Canal + (qui l'avait débauchée de TF1 deux ans plus tôt) en 2008, Laurence Ferrari avait pour mission de maintenir l'écart avec David Pujadas, le rival de France 2 : raté. Lors de sa première quinzaine, Ferrari rassemble 36,2% de part d'audience (7,8 millions de personnes, un bon million de moins que PPDA) contre 20,3% pour Pujadas (4,4 millions de téléspectateurs).

Quatre saisons plus tard, le 20 heures de TF1 a perdu dix points fastoche pendant que celui de France 2 est en hausse et l'écart se réduit sans cesse : le 16 mai, il n'y avait, entre Laurence Ferrari et David Pujadas, que 100 000 téléspectateurs d'écart. Certes, dans le même temps, l'audience globale de TF1 a elle aussi dévissé, attaquée par la TNT. Certes, il y a l'incroyable succès du soap marseillais de France 3, Plus belle la vie , et, depuis août 2011, celui de Scènes de ménages sur M6, deux fictions qui, diffusées pile pendant les deux JT, leur dament régulièrement le pion. Sauf que le 20 heures de Pujadas en semaine et celui de Delahousse le week-end sont en hausse, tandis que Claire Chazal limite la casse.

D'emblée, Laurence Ferrari était plombée. Avant même son arrivée sur TF1, l'alors président de la République Nicolas Sarkozy, fait savoir qu'il la verrait bien à la place de PPDA. Sympa comme entrée en matière d'être ainsi marquée du sceau présidentiel. Et comment succéder à celui -- PPDA -- qui au bout de tant d'années, s'était imprimé dans la rétine des téléspectateurs ? Dès son premier JT, elle tente de la jouer collectif, contrairement à son prédécesseur, en parlant du «journal de la rédaction» . Symbole.

Mais quatre ans plus tard, rien ne va plus entre Laurence Ferrari et la rédaction. Hier, la future ex-présentatrice du 20 heures a pris la parole lors de la conférence de rédaction, submergée par l'émotion. Réponse des journalistes : un silence de mort. «Tout le monde est soulagé qu'elle s'en aille» , commente froidement l'un d'entre eux.

C'est en effet elle et sa rédactrice en chef, Anne de Coudenhove, que la rédaction de TF1 désigne. «Laurence Ferrari et sa rédactrice en chef sont contestées en interne, elles ne sont pas à la hauteur du sujet» , expliquait, après la présidentielle, un reporter à Libération . Autre cible des journalistes : la directrice de l'information Catherine Nayl, jugée ectoplasmique. Fait rarissime dans cette rédaction d'ordinaire très policée : un communiqué interne de la société des journalistes (SDJ) est publié, qui exige «un nouveau souffle qui ne peut plus se limiter à un aménagement de ligne éditoriale» . Ferrari frôle alors la motion de défiance.

C'est que, plus encore que les audiences, Laurence Ferrari paye la calamiteuse campagne présidentielle de TF1. Mélenchon-Le Pen, Hollande-Juppé : à chaque fois, c'est sur France 2, dans Des paroles et des actes , que ça se passe. Paroles de candidats , l'émission que présente Ferrari, n'est qu'un pâle décalque de celle de 2007. Au premier tour, France 2 bat TF1 d'un cheveu ; au deuxième, elle est nettement devant. Criant symbole : mardi, c'est chez Pujadas, et uniquement chez lui, que Hollande fait sa première intervention télévisée en tant que Président. Conclusion au lance-flammes de la SDJ de TF1 : «Les journaux, les soirées électorales et la couverture de la campagne présidentielle n'ont pas été à la hauteur de ce que devrait être l'information de TF1 : innovante, réactive, intelligente et populaire.»

Sentant bien qu'il y a le feu au lac, Catherine Nayl met en place des groupes de travail pour faire évoluer le 20 heures. Et annonce à l'AFP une «nouvelle formule» : plus de décryptage, moins d'exhaustivité. Une nouvelle qualifiée par la rédaction d' «alibi» pour les plus polis, ou de «bidon» pour les plus francs. Dire si la seule tête de Laurence Ferrari ne devrait pas suffire à remettre la chaîne d'aplomb. En attendant le nom de son remplaçant (Gilles Bouleau, son intérim ? Harry Roselmack ? Laurent Delahousse, que l'on dit déjà en train de faire ses cartons ?), une autre pourrait la suivre dans la sciure : celle de Catherine Nayl. Quant à celle de Nonce Paolini, Martin Bouygues a démenti qu'il comptait y toucher. Avec la même vigueur que Paolini démentait, avant-hier encore, vouloir toucher à un cheveu de Ferrari.

Paru dans Libération du 31 mai 2012

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