TF1, son univers pitoyable

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 9 janvier 2008 à 1h53

Le titre - Madame, monsieur, bonsoir - est bateau ; le pseudo - Patrick Le Bel - balourd ; la déclaration d'intention - «Il ne s'agit pas de mettre le feu à la maison, juste de provoquer un bon électrochoc» - un peu maladroite, mais on ne s'arrêtera pas à ça. Ce livre sur les coulisses de la rédaction de TF1 écrit anonymement par cinq de ses journalistes (1) est brutal. De la brutalité du monde du travail, même quand le travail est surpayé. L'observateur des médias n'y trouvera pas de scoops, mais le quotidien des journalistes de la chaîne en béton : bassesses, hypocrisie, terreur sourde.

Hier, à TF1, pas de commentaire. Mais en interne, on s'agite, même si quasiment personne n'a lu le livre. La blague du jour dans la rédaction : lancer à son collègue «Tu ne m'as pas dédicacé ton bouquin». La direction est bien décidée à retrouver les coupables. Pour protéger les auteurs qui refusent même de s'exprimer par téléphone, l'éditeur a réécrit, gommé les tics de langage. Mais le témoignage, dont le Parisien a publié hier des extraits et que Libération s'est procuré, est précieux : «C'est nous qui faisons la soupe, tous les jours, à 13 heures et à 20 heures», écrivent les journalistes.

Travailler pour TF1

L'info à la chaîne, les sujets montés à la six-quatre-deux, les reportages orientés. C'est le quotidien des journalistes de TF1. Après une manif étudiante, il faut aller vite : «Monte-moi 25 minutes de bordel, commande un journaliste à son monteur, on mettra ensuite deux témoins.» Et la manie du micro-trottoir : «Trois pour, trois contre, ça suffira merci.» En 2002, après la présidentielle où TF1 a été accusée d'avoir emmené Jean-Marie Le Pen au second tour, Robert Namias, directeur de l'information, organise un séminaire de la rédaction. Un cahier de doléances a été ouvert : «Souffrance, colère, lassitude : "infantilisation, caporalisme, cadences infernales, pertes de sens", tout y passe. Peu à peu, les journalistes se lèvent [.], donnent chair aux accusations.» Les témoignages fusent : «On passe d'un reportage en banlieue à un autre sur la sécheresse dans les Deux-Sèvres», «Je ne reconnais plus la rédaction. Lorsque j'entre dans le parking, j'ai mal au ventre», «J'ai un peu honte en ce moment de dire que je travaille à TF1». Seule conséquence du séminaire: l'adjoint de Namias est remplacé.

PPDA

C'est le principal accusé : dilettante, paresseux comme une couleuvre, autoritaire, jaloux du bel Harry Roselmack, le voilà habillé pour quelques hivers. «Irascible. Chacun dans la rédaction s'attache à prévenir ses colères ; on les craint. Destructrices, blessantes.» A un jeune journaliste qui estime que son sujet mérite mieux que quelques images commentées en voix off, PPDA assène: «Considère qu'un off dans mon journal est déjà un immense privilège.» Un PPDA doté d'un baobab dans la main : «Il n'écrit que très peu son journal et se contente souvent de corriger ceux qui l'ont fait pour lui.»

Jean-Pierre Pernaut

A côté, le présentateur du 13 heures s'en tire bien : «Un beauf de droite décomplexé.» Qui «essaiera toujours d'arranger nos affaires avec la direction». Du moment qu'on ne lui enlève pas ses dadas : «Les fonctionnaires sont payés à ne rien foutre.» Parfois, ça se voit. Comme lors des grèves de novembre 2007, où il est déchaîné. Au point que le nouveau patron de TF1, Nonce Paolini, le convoque pour un remontage de bretelles. Le lendemain, Pernaut reproche à ses journalistes de ne pas l'avoir soutenu: «Personne ne me défend. Je vous pisse tous à la raie.»

Claire Chazal

Cruel, le portrait de Claire Chazal : «Une Marie-Antoinette : la vraie simplicité des gens bien nés, qui, malgré eux, vous renvoie à votre piètre condition.» Et passionnée par son métier avec ça : «Tandis que les chefs d'info lui transmettent le menu de son journal, Claire est ailleurs, dans la contemplation de ses mains, dont le soin est une obsession.»

Robert Namias

C'est l'architecte de l'info sur la Une. Lui qui, dans l'émission 7 à 8, coupe une interview du frère de Rachida Dati : «Vous n'allez pas me gâcher ma rentrée», explique Namias. «Sacré Bob.» Et sa sacrée maxime: «Ce qui ne passe pas sur TF1 n'existe pas.» Commentaire des auteurs : «Il fait ce qu'on lui demande de faire, comme nous, c'est le secret de sa longévité.»

Télé Sarko

Au soir du 6 mai 2007, l'ambiance au siège de TF1 est à l'euphorie. Si Namias a donné le mot d'ordre («Aucune mine réjouie ou défaite avant 20 heures»), «dans les salons réservés aux VIP, le champagne coule à flots [.] On fête bien l'élection de Nicolas. Sans ambiguïté ni gêne aucune.» Seul couac, une coupe apparaît fugacement à l'antenne. Au côté d'Etienne Mougeotte, trottine un jeune stagiaire : le fils de Bernard Arnault. Ce soir-là, Sarkozy n'est pas là; mais à TF1, il est chez lui. Les auteurs rectifient: «Chez son meilleur ami. Martin [Bouygues, ndlr], rarement là, lui laisse les clés en toute confiance.» Ainsi, en août 2006, Sarkozy passe un savon au journaliste qui a laissé passer un reportage sur les sans-papiers de Cachan peu à son goût: «C'est une honte d'avoir laissé passer ce sujet, s'emporte le futur Président. Vous ne savez pas faire votre boulot.» Plus tard, reçu à la fin d'un JT de 20 heures, Nicolas Sarkozy se verra gratifier d'un mot gentil par l'épouse de Patrick Le Lay: «On est tous avec vous!»

(1) Editions du Panama, 15 euros. En vente jeudi.

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