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Libération

TNT, conversion capitale

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 8 mars 2011 à 11h41

La neige va mourir. Ce sera ce soir, à 23 h 59, à la tour Eiffel. A cet instant-là, un technicien appuiera sur un bouton et c’en sera définitivement terminé de la télévision analogique à Paris et dans toute l’Ile-de-France. Adieu aux tremblements qui pouvaient parfois affecter l’image, adieu la neige qui blanchissait l’écran de temps à autre. Place à la télé numérique, ses 1 et ses 0. Soit ça marche et la qualité est parfaite, soit ça ne marche pas et l’écran est noir. Entamé le 4 février 2009 à Coulommiers (Seine-et-Marne), le mouvement d’extinction de l’analogique s’est poursuivi mois après mois, région après région, pour atteindre aujourd’hui la plus peuplée. A Coulommiers, on comptait 15 000 personnes à convertir. Une paille à côté des 12 millions de Franciliens qui basculent entre ce soir et demain matin.

Le «passage» -- selon le mot d'Olivier Gerolami, directeur général de France Télé Numérique qui accompagne la conversion -- devrait être achevé mardi avant 20 heures. Et la seule télé hertzienne qui survivra sera donc numérique, la fameuse TNT apparue le 31 mars 2005. Rappelons aux oublieux le principe : on ne change pas son antenne râteau qui rouille sur le toit, on achète juste un décodeur TNT (à partir de 20 euros) ou un téléviseur avec décodeur intégré (ils le sont désormais tous) et on règle le bouzin. Et ô joie, ô félicité, vous voilà désormais l'heureux spectateur de NT1 et ses matchs de catch ou du dingo anglais Bear Grylls qui boit son pipi en plein désert, entre autres réjouissances diffusées sur les 18 chaînes de la TNT. Ainsi que, ne mégotons pas, sept chaînes locales franciliennes.

Certes, on commence à la connaître, la TNT. En six années d'existence, elle et la rapidité avec laquelle elle a été adoptée par les Français ont totalement bouleversé un paysage audiovisuel sclérosé en six chaînes, entraînant notamment l'audience de TF1 sur une pente savonneuse. «Une mini-révolution culturelle» , selon Alain Méar, conseiller au CSA en charge de la TNT. Il n'est désormais plus rarissime de voir une de ces petites chaînes monter sur le podium de l'Audimat.

Après Paris et l’Ile-de-France, l’extinction de la télé analogique va se poursuivre dans la moitié sud de l’Hexagone : l’Aquitaine fin mars, la Côte d’Azur en mai, les Alpes (et le délicat souci des zones d’ombres montagneuses) en septembre. Fin novembre 2011, la conversion du pays à la TNT, territoires d’outre-mer inclus, sera terminée et la neige itou.

Décodeurs : tous au poste

Inutile, amis parisiens et franciliens, d'embêter les 485 gentils téléopérateurs du 0970818818 entre minuit ce soir et, au maximum, 20 heures demain. Si votre écran est noir, c'est normal : le temps d'éteindre la diffusion analogique et de rallumer en numérique la quarantaine d'émetteurs que compte la région, il n'y aura pas de télé. Et pas seulement pour les 4,3% d' «analogico-dépendants» , selon Alain Méar, soit 200 000 foyers franciliens qui regardent encore la télé avec de la neige. En effet, les 61% de foyers déjà équipés de la TNT (le reste qui a le câble, l'ADSL ou le satellite n'a pas besoin de bouger une oreille) devront dès demain accomplir un geste indispensable : relancer la mémorisation des chaînes sur son décodeur ou sa télé, sinon, écran noir. Pour Gerolami, «après 13 régions et 28 millions de Français, on a l'expérience, le passage s'annonce plutôt bien. Mais le vrai challenge de la semaine, ce sera de remémoriser les chaînes : 3,3 millions de foyers devront accomplir ce geste mardi.» Syndics et copropriétés ont normalement fait le boulot et 1 600 postiers ont été formés pour aider les plus âgés et les plus dépendants. «Le problème avec Paris, c'est qu'il y a un public âgé vivant seul dans des logements privés et donc moins facile à toucher» , estime Alain Méar. Du coup, on évalue à 200 000 le nombre de coups de fils angoissés que devrait recevoir cette semaine le centre d'appels : allô, docteur, ma télé est cassée.

Analogique : des fréquences courtisées

Bon, c'est bien joli d'éteindre l'analogique, mais que fait-on des fréquences abandonnées ? Figurez-vous que c'est un sacré enjeu, on les appelle même les «fréquences en or», du fait de leur excellente couverture. Plus techniquement, ce dossier-là porte le doux nom de «dividende numérique» et à peu près tout le monde s'empaille pour se l'accaparer : télécoms, fournisseurs d'accès à Internet, télévisions, radios... Surtout, selon les Échos , les fréquences en or pourraient rapporter à l'État 1,35 milliard d'euros tel que budgété dans le projet de loi de finances 2010.

Fin 2008, le Premier ministre, François Fillon, décidait de faire à peu près kif-kif avec tout le monde : de nouvelles chaînes, de la haute définition, de la télé sur téléphone, de l'Internet mobile à très haut débit, de la radio numérique terrestre (la RNT, l'équivalent radio de la TNT, qui permet notamment une amélioration de la qualité du son et un peu d'interactivité).

En janvier, le ministre de l'Industrie, Éric Besson, a indiqué que l'appel d'offres serait lancé «dans les semaines qui viennent» et ce sont les opérateurs télécoms qui vont s'écharper pour déployer de la téléphonie mobile de quatrième génération.

Comme si tout ça n'était pas assez compliqué, il va bientôt falloir se coltiner un deuxième dividende numérique «à un horizon plus lointain, c'est-à-dire 2014-2015» , précise Alain Méar, une nouvelle poule aux fréquences d'or...

Canal bonus : cadeau empoisonnant

C'est bien connu : TF1, Canal + et M6 sont des pauvresses. C'est pourquoi l’État, via une loi de 2007, a prévu de les consoler de la fin de leur diffusion en analogique en leur octroyant un gentil cadeau livrable à partir du 30 novembre 2011 : une nouvelle chaîne pour chacune, le canal bonus, ça s'appelle. Libre à elle d'en faire ce qu'elles veulent. Les arguments? La perte d'audience entraînée pour les grandes chaînes par la TNT , ou les dépenses qu'elles ont eu à supporter pour sa mise en place.

Souci : Bruxelles ne le voit pas de cet œil-là, et fin novembre dernier, la Commission a donné deux mois à la France pour se justifier, faute de quoi, couic le cadeau.

Pourtant TF1, Canal + et M6 ont commencé à gamberger sur leurs futures chaînes, chacune lorgnant celle du voisin. Canal + notamment a fichu les miquettes à tout le monde en laissant entendre qu'elle pourrait lancer une télé gratuite. Un Canal +, mais à l'œil, voilà qui pourrait bouleverser un PAF déjà sens dessus dessous.

Mais si, du côté des chaînes comme du CSA, on fait mine que tout va bien, les juristes qui ont planché sur la question du canal bonus sont formels : jamais la France ne pourra démontrer à Bruxelles qu'il s'agit bien d'une compensation, et, sauf miracle, le joli cadeau est à l'eau. Du coup, par un phénomène de dominos, tout processus d'appel d'offres sur de nouvelles chaînes est bloqué au niveau du CSA. À vous dégoûter de faire des cadeaux...

Audiences : les vieilles ébranlées

Deux millions ! Deux millions ! C'est le nouveau record à battre pour les chaînes qu'on appelait «les nouveaux entrants» lors du lancement de la TNT, en 2005. Pour l'instant, c'est TMC qui détient le pompon avec 1,98 million de téléspectateurs pour une vieillerie de film, Dirty Dancing . Le 17 février dernier, la filiale de TF1 s'est même retrouvée devant France 3. Les nouveaux entrants -- selon le palmarès de Médiamétrie : W9, TMC, Direct 8,Gulli, NRJ 12, NT1 et France 4, auxquelles s'ajoutent i-Télé, BFM TV et la Chaîne parlementaire -- représentaient 2,6% de l'audience télé en 2007. En six ans, elle ont connu une ascension fulgurante, atteignant désormais les 20%.

Dire si les historiques se font des cheveux blancs. A commencer par TF1, passée, entre 2005 et la semaine dernière, de 32,3% de parts d'audience à 23,7%. France 2 a accusé le coup (15,6% d'audience, 4,2 points de moins) mais moins que France 3, s'enfonçant désormais sous la barre des 10% (5,7 points perdus en six ans) tandis que M6 limite la casse (10,5% et 2 points de moins).

Et il est beau, le secret du succès de TMC et consorts : un blockbuster faisandé suffit à affoler l'Audimat, de même qu'un match de foot de seconde zone, une fiction de TF1 d'il y a dix ans, un mag de faits divers fait à la va-comme-je-te-pousse ou la redif de la redif des Simpson ...

Du coup, et ayant visiblement renoncé à voir sa propre audience remonter, TF1 s'est mise à faire ses emplettes sur la TNT en rachetant TMC et NT1 pour récupérer d'un côté les téléspectateurs qu'elle perd de l'autre. La Une pourrait même bientôt arrêter les frais de sa dispendieuse LCI, disponible sur la TNT mais uniquement sur abonnement, en la proposant gratuitement.

Paru dans Libération du 7 mars 2011

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