TV5 Monde tente le coup de Bigot

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 5 décembre 2012 à 10h32
(mis à jour le 5 décembre 2012 à 14h29)

Ce devait être le 16 octobre. Et puis non, en fait, ce sera le 14 novembre. Finalement non, encore. Mais cette fois c’est sûr de sûr, c’est pour ce mercredi. Aujourd'hui, TV5 Monde installera un nouveau directeur général dans le fauteuil désormais bien refroidi que Marie-Christine Saragosse a quitté début septembre pour prendre la présidence de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF). Et le propriétaire de l’auguste séant sera… roulements de tambour… Yves Bigot, aujourd’hui directeur des programmes de RTL. Du moins si, d’ici le conseil d’administration de TV5 Monde qui a lieu ce mercredi après-midi, les actionnaires de la chaîne francophone approuvent le choix de la France.

Trois mois ou presque : il était temps. Non pas qu'on manquait de candidats, il y en avait même une palanquée. «Un nombre de candidats hallucinant» , rigolait-on à l'Élysée en septembre. Il faut croire que diriger cette étrange chaîne -- composée des programmes de ses divers actionnaires et qu'on voit plus souvent dans des hôtels à l'étranger -- est séduisant. Les postulants envoient leur CV aux ministères de tutelle de TV5 Monde, soit la Culture et les Affaires étrangères, avec copie à l'Élysée, ça ne peut pas faire de mal. Dès septembre, le premier nom à ressortir est celui de Richard Boidin, ancien directeur de l'audiovisuel extérieur (rien à voir avec l'AEF) du Quai d'Orsay, et présenté comme le candidat dudit ministère des Affaires étrangères. Problème : il ne convient pas aux actionnaires étrangers de TV5 Monde. Car TV5 Monde a des partenaires francophones (lire ci-contre) qu'il s'agit de ne pas bousculer. Et chaque nomination d'un nouveau directeur est propice au froissage diplomatique, les partenaires ne goûtant que moyennement de se voir imposer un nom par la France sans donner leur avis.

Surtout, il y a ce qu'un connaisseur appelle «le traumatisme de 2007» . On est en effet alors passé à moins d'une phalange d'une déclaration de guerre de la Belgique, de la Suisse, du Canada et du Québec. Car à l'été 2007, Nicolas Sarkozy, président de la République, décide, sous l'impulsion de son conseiller Georges-Marc Benamou, de rassembler France 24, RFI et TV5 sous la même bannière de l'Audiovisuel extérieur de la France. Sauf que, si elle est majoritairement détenue par l'Hexagone, TV5 promeut la francophonie, et pas la France. L'affaire fait alors du barouf : les partenaires, ne goûtant qu'assez peu les manières goujates de la France, menacent même de se retirer de TV5. Et qui était venu porter à l'époque la voix de la France auprès des partenaires francophones ? Un certain Richard Boidin. Cinq ans plus tard, Belges, Suisses, Canadiens et Québécois s'en souviennent. Exit Boidin.

Circulent alors un certain nombre de noms : Éric Moniot, secrétaire général de La Chaîne Parlementaire. On évoque aussi Claude Sérillon, une hypothèse qui, vu sa proximité avec le président de la République, aurait fait du vilain. Ou encore Olivier Zegna Rata, directeur des relations extérieures de Canal+ et connaisseur de l'Afrique. Très vite, un duo se détache : Anne Brucy, ex-directrice de France Bleu, et Ghislain Achard, qui fut directeur général de France Télévisions. Chacun a ses avantages -- Achard connaît ce genre de structure, Anne Brucy, moins expérimentée, est une femme, denrée rare dans ces milieux où le XY est roi. Las, «Les noms ne faisaient pas l'unanimité auprès des partenaires francophones» , indique-t-on à TV5. «Certains n'avaient pas assez d'expérience dans la direction d'une chaîne» , glisse-t-on au Quai d'Orsay. Surtout, les tutelles de TV5 ne sont pas fichues de se mettre d'accord sur un candidat, l'une -- les Affaires étrangères -- penchant pour Achard, l'autre -- la Culture et la Communication -- pour Brucy. Résultat : la France, actionnaire majoritaire de TV5 Monde à qui revient le privilège de nommer son DG, ne propose aucun candidat au conseil d'administration du 16 octobre. Pas plus qu'à celui du 14 novembre.

Quand, tadaaa, Yves Bigot sort du chapeau, poussé, dit-on du côté de TV5, par l’Élysée et, dit-on du côté de l’Élysée, par Saragosse. L’homme a une expérience de l’audiovisuel : outre RTL, il a, à 57 ans, été directeur des programmes de France 2, patron de France 4, il est passé par Endemol (oups !) et surtout il a passé trois années à la tête des antennes de la RTBF. En voiture, Bigot. Ou plutôt en avion et en Thalys, Bigot : il a rencontré la semaine dernière les actionnaires canadien, suisse et québecois et lundi, il était à Bruxelles.

Hier ce sont les administrateurs salariés à qui Yves Bigot est venu se présenter. Pas trop tôt car à TV5 Monde, la situation lasse un tantinet. «C'est un peu bizarre d'avoir mis Marie-Christine Saragosse à la tête de l'AEF sans avoir pensé à sa succession à TV5 Monde» , estime Martine Bruneau, déléguée CFDT. En novembre déjà, l'intersyndicale de la chaîne et ses administrateurs salariés écrivaient un communiqué en forme de petite annonce : «Personnel, attaché au développement de sa société, cherche DG. Profil : ouvert à la diversité et à la francophonie, il devra avoir une forte expérience dans le monde audiovisuel, une bonne compétence dans les nouvelles technologies et une aptitude reconnue au dialogue social.»

Yves Bigot saura-t-il répondre à ces critères ? Il n'a, en tout cas, pas intérêt à arriver les mains dans les poches : «Les gens attendent des surprises» , explique un salarié. «Il faut améliorer le contenu, on a l'impression d'être dans un train-train, juge une autre. La grille n'a pas changé depuis trois ans.» Le tout sans bousculer la rédaction, dont l'une des grandes craintes est de se voir réduite à peau de chagrin.

«On attend un second souffle , résume Sébastien Legeay, du syndicat Sud, et de se recentrer sur la francophonie et l'Afrique.» Bref, un grand dépoussiérage, et un peu de ménage aussi, selon Legeay, qui souligne la nécessité d' «un changement au niveau du management, pour se débarrasser des vieilles baronnies.» Au boulot, Bigot.

Paru dans Libération du 4 décembre 2012

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