Taxe Google : oui, car Google capte la valeur créée

par Philippe Janet
publié le 29 octobre 2012 à 15h18

La presse en ligne exige une rémunération de Google. La démarche peut paraître grossière, Google et bon nombre d’experts autoproclamés d’Internet en ont fait une fable simpliste : la presse en ligne bénéficierait largement de l’apport de Google qui lui apporterait 4 milliards de visites par an. En échange, Google serait fondé à utiliser les titres et les premières lignes des articles produits par la presse en ligne. Vu de l’internaute, l’échange semble au moins équilibré et la demande des éditeurs de presse bien peu motivée. Pire même, en voulant faire payer à Google le droit de référencer ses articles, la presse commettrait un crime de lèse-Internet. Les liens sont à la base de l’organisation d’Internet et ne sauraient donc être soumis à autorisation, la libre publication et la réplication de liens hypertextes sont à la base du World Wide Web défini en 1989 par Tim Berners Lee, du Cern.

Nous voici donc avec une belle histoire mettant en scène le gentil, Google, victime de son succès, de sa modernité et de sa générosité, et les méchants, les éditeurs de presse, aigris de n’avoir pas su profiter d’Internet, ringardisés, jaloux et vieux. Mais le sujet n’est pas aussi simpliste et sa compréhension par les pouvoirs publics comme par l’opinion pourrait mettre à mal le fantastique modèle économique de Google. Car le vrai sujet de la bataille n’est pas d’autoriser ou non le référencement des articles de presse, c’est l’utilisation illimitée des contenus de la presse pour améliorer la pertinence des réponses de Google et donc le chiffre d’affaires publicitaire de Google.

Le modèle économique de Google repose sur la vente aux enchères des liens publicitaires proposés sur ses pages. À chaque recherche, le moteur propose des dizaines de pages de liens pertinents. À chaque clic sur un lien vendu, Google gagne de l’argent, beaucoup d’argent. Pour augmenter ses revenus, Google va donc essayer d’augmenter le nombre de clics sur les mots clés les plus demandés par les annonceurs. Google va donc tenter d’améliorer la qualité de la réponse pour la faire correspondre au mieux à la demande. Google a donc besoin d’améliorer la pertinence de ses contenus car plus les réponses sont pertinentes, plus les publicités qui les accompagnent le seront et plus le chiffre d’affaires croîtra. Pour améliorer cette pertinence, Google doit donc nourrir son moteur, lui donner le plus de textes possible. À chaque texte lu, le moteur et ses algorithmes vont apprendre la sémantique, le vocabulaire, la grammaire, et donc la qualité des réponses apportées. Le moteur va parcourir en tous sens les sites Internet, les «crawler», pour y apprendre encore et encore, en particulier les sites sur lesquels les textes sont si souvent mis à jour. Google va aller jusqu’à payer Twitter pour pouvoir analyser en temps réel les contenus des tweets. Il scanne les milliards de mails des centaines de millions d’utilisateurs de sa messagerie gratuite. Google va aussi indexer l’ensemble des contenus des éditeurs de presse, cette indexation n’ayant rien à voir avec le référencement puisqu’il ne s’agit pas de récupérer un titre et deux lignes, mais de faire l’analyse sémantique de l’ensemble de ces articles… En clair, grâce aux contenus de la presse en ligne, Google améliore jour après jour son revenu.

Ce déséquilibre est inacceptable, d’autant qu’il est renforcé par le fait que Google s’accapare près de la moitié des investissements publicitaires réalisés sur Internet. La belle histoire de Google n’a donc rien de gentil puisqu’elle relève plus de la captation de valeur que de la mission de service public. Google est une entreprise comme une autre, dont la vocation est de générer le plus de bénéfices possibles, quelles que soient les mécaniques mises en place pour améliorer ses marges. Depuis dix ans, la presse n’a eu de cesse de chercher le dialogue avec Google qui a toujours répondu par des propositions commerciales sans rapport avec les enjeux. C’est cette absence de réponse qui a amené les éditeurs à demander à l’Etat la mise en place d’un droit voisin, un modèle déjà appliqué à la musique. A chaque fois qu’une radio diffuse une musique, elle paie 5 à 7% de son chiffre d’affaires publicitaire à la société de gestion représentant les auteurs et interprètes de la musique. Il n’est pas illogique que Google, gagnant de l’argent sur l’utilisation des contenus de la presse, fasse de même. Et si le modèle français venait à se propager dans le monde entier, les actionnaires de Google riraient moins à la fin de la fable…

Paru dans Libération du 27 octobre 2012

Par Philippe Janet, consultant, directeur général de ePresse. fr, ex-PDG du Monde Interactif, ex-DG numérique des Echos, ex-Président du Geste

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