Télé sans pub : la hâte de Sarkozy au court-bouillon

Service public . La suppression de la réclame avant même l’examen de la loi avait choqué les sénateurs qui ont saisi le Conseil d’Etat. Il devrait leur donner raison.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 27 janvier 2010 à 0h00

La suppression de la pub sur France Télévisions est-elle en passe de rejoindre la taxe carbone au palmarès déjà lourd du «Caramba, encore raté» de Nicolas Sarkozy ? S’il y a peu de chances de voir refleurir la réclame après 20 heures sur le service public, le président de la République est en passe de se voir infliger une sacré volée de bois vert juridique. Et ce, s’il vous plaît, par le Conseil d’Etat : on ne s’assoit pas impunément sur le Parlement, vous nous le copierez cent fois.

Bulldozer. L'affaire remonte à décembre 2008. La loi sur l'audiovisuel entérinant la suppression de la pub, exigée par Nicolas Sarkozy, traîne à l'Assemblée nationale et n'est pas près d'arriver au Sénat. C'est que l'opposition se refait la cerise en multipliant les interventions. Mais il y a urgence : le 5 janvier 2009 dès 20 heures, il ne devra plus y avoir de réclame sur France Télévisions. C'est Sarkozy qui l'a dit, et ce que Président veut… Le recours au 49-3 est envisagé, puis rejeté : un peu trop bulldozer. A l'Elysée, on pense à un décret. Là, c'est le président du Sénat, Gérard Larcher, qui prend vapeur : décréter la fin de la pub alors même que la loi n'est pas encore passée au palais du Luxembourg, pas classe. Du coup, le gouvernement a une idée sacrément plus élégante : Patrick de Carolis. C'est le président de France Télévisions qui va lui-même supprimer la pub lors d'un conseil d'administration. Ce même Carolis qui a appris en regardant Sarkozy à la télé la suppression de la pub. Après tout, il n'en est pas à une humiliation près… Aussitôt dit, aussitôt fait : Christine Albanel, alors ministre de la Culture et de la Communication, envoie une lettre au président de France Télévisions lui demandant d'anticiper la loi. Il obtempère.

Dire si le 7 janvier, quand la loi revient devant la Chambre Haute, les sénateurs l'ont saumâtre. Les voilà obligés de débattre une loi dont l'objet - la suppression de la pub - est déjà effectif depuis deux jours. Très remonté, le sénateur communiste Jack Ralite dénonce une «incivilité du pouvoir, une pratique gouvernementale délinquante». Son groupe, allié aux sénateurs du Parti de gauche, dépose un recours devant le Conseil d'Etat. La loi sur l'audiovisuel, elle, est promulguée en mars 2009.

Un an après, le Conseil d'Etat a tenu audience sur le fond et entendu, lundi dernier, les conclusions du rapporteur public chargé de dire la loi. Et c'est violent. Il parle d'«ingérence» des pouvoirs publics, dénonce «la piètre gestion d'un dossier sensible mettant en cause l'avenir du service public de l'audiovisuel», parle de «mauvaise gouvernance». Enfin, concluant que la demande des sénateurs est «imparable», il demande que les décisions de la ministre de la Culture et du conseil d'administration de France Télévisions soient annulées. Pas sûr que la décision du Conseil d'Etat, attendue d'ici à trois semaines, soit à l'identique, mais il suit en général l'avis du rapporteur.

Pour autant, l'annulation n'entraînera pas la suspension de la suppression de la pub car la loi est passée par là. Mais c'est un sérieux rappel à l'ordre à l'endroit de Nicolas Sarkozy. En langage de Jack Ralite : «C'est un pavé dans la mare du foutoir autoritaire.» L'avocat des sénateurs, Carlo Santulli, estime quant à lui l'affaire «sans précédent dans la Ve République, c'est la première fois qu'on met en place une loi avant qu'elle soit votée».

Régie. A France Télévisions, les syndicats sont ébahis. Carole Petit, du SNJ, soupire : «C'est un camouflet pour le fait du prince, mais y en a marre d'avoir raison après coup.» Pour Jean-François Téaldi, de la CGT, «il était temps d'écouter les gens qui disent que, financièrement, cette réforme ne sert à rien». Et de s'interroger : «Ne serait-il pas urgent de revenir sur la privatisation de la régie publicitaire ?» Trop tard : là encore, la machine est enclenchée. Avant même de savoir si France Télévisions verra la pub, comme le prévoit la loi, bel et bien supprimée aussi avant 20 heures, la régie va passer dans le privé. En décembre, ne restaient plus en lice que Hi-Média et Stéphane Courbit, associé à Publicis. Le premier avait la préférence de Carolis, et le second de l'Elysée, où il est en cour. Et le gouvernement a tenté d'imposer Courbit. «Là, on s'est énervé», indique-t-on du côté de la présidence de France Télévisions. Mais depuis, Courbit aurait revu son offre à la hausse, et devrait remporter la régie. A la télé publique, tout s'arrange, comme d'habitude, selon les bons vœux du président de la République.

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