Télé sans pub : quand passe la loi sauvage

Après l’Assemblée, le Sénat a voté hier le texte qui place France Télévisions sous tutelle financière et politique de l’Etat. 
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 5 février 2009 à 11h11

Voilà. Patrick de Carolis peut enfin poser son cou gracile sur le billot et passer ses journées à guetter le léger souffle du décret présidentiel qui le renverra à ses chères études : un an et un mois après l’annonce surprise par Nicolas Sarkozy de la suppression de la pub sur France Télévisions, la loi sur l’audiovisuel a été définitivement adoptée par le Parlement, avec un ultime vote hier au Sénat par 177 voix contre 159.

Et avec la loi, l’audiovisuel public change d’époque et rétropédale trente années en arrière, du temps où la pub n’était pas autorisée à la télé (la fin de l’interdiction date du 1er octobre 1968), du temps où le gouvernement tenait en laisse l’ORTF. Désormais, le PDG de France Télévisions sera nommé et viré selon le bon vouloir du président de la République sauf si – mais c’est de la pure science-fiction –, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’est pas d’accord.

Désormais, on paiera la redevance un peu plus cher (118 euros dès cette année, 120 en 2010). Désormais, France Télévisions et ses nombreuses filiales seront rassemblées en une entreprise unique et ses salariés travailleront sous une même convention collective qui reste à négocier. Désormais, TF1, M6 et consorts pourront placer une seconde coupure publicitaire dans les films et les ­fictions. Désormais, les privées, mais également France Télévisions (bonjour la cohérence !) pourront avoir recours au placement de produit (c'est-à-dire que Renault paiera pour que Julie Lescaut poursuivent les méchants en Twingo et le logo Citroën du tub de Loulou la brocante pourra être très voyant moyennant finances).

Désormais aussi, la pub sera supprimée sur France Télévisions entre 20 heures et 6 heures du matin. Ah ben non, ça, c’est déjà fait et c’est d’ailleurs ce qui a fait vaciller le gouvernement, battu froid au Sénat par des alliés centristes remontés et une gauche vigoureuse, exhibant notamment en pleine Assemblée des panneaux ORTS, pour «Office de radiotélé­vision sarkozyenne». Tous partis confondus, les sénateurs n’ont en effet pas goûté de discuter d’une loi déjà mise en œuvre. Comme ils n’ont pas du tout apprécié que leurs apports à la loi soient, hormis la hausse de la redevance, totalement balayés par la Commission mixte paritaire (CMP) chargée de poncer les aspérités entre les versions Assemblée et Sénat du texte. C’est qu’entre-temps, à Matignon et à l’Elysée, on avait réussi à se rabibocher avec les centristes.

Hier au Sénat, l'opposition a tenté mais en vain de faire échec à la loi. Le socialiste David Assouline a ainsi tempêté contre «une réforme aberrante et indigne d'une grande démocratie» , pointant le «climat pernicieux» installé par le nouveau mode de nomination du président de France Télévisions : «Nous créons le risque de voir la peur de déplaire devenir le mode de fonctionnement des rédactions.» Il aussi déploré le «transfert de richesses sans précédent vers le privé» , à savoir les cadeaux à TF1, «une prime aux mauvais entrepreneurs» . Message personnel aux dirigeants de la Une infoutus d'anticiper le succès de la TNT qui, aujourd'hui, leur mordille sérieusement les mollets. Fidèle à son style crépusculaire, le communiste Jack Ralite a quant à lui prophétisé que «dès cette année, la télévision publique amorce sa marche vers l'abîme» .

Le maigre espoir que le groupe RDSE (qui regroupe des radicaux de gauche mais aussi des centristes de droite, c'est subtil) fasse pencher la balance en faveur du non à la loi ne s'est pas réalisé. En effet, les sénateurs UMP, qui n'ont pas la majorité seuls, ont battu le rappel des troupes et ont été soutenus par les centristes. Lequels s'attirent les foudres de David Assouline : «Sur une question où l'on pouvait attendre des centristes un peu d'intransigeance, ils ont encore été les suppôts de l'UMP. Nous, on est debout, eux, ils ont préféré baisser la tête.» Reste à l'opposition des recours devant le Conseil constitutionnel qui pourrait voir d'un mauvais œil le nouveau mode de nomination. Les sénateurs et députés PS vont déposer un recours conjoint dans les prochains jours, dès que la loi organique sera adoptée à l'Assemblée, avec, pour angles d'attaque, le ­financement et la nomination-révocation des présidents de la radio et la télé publiques directement par l'exécutif.

En attendant, l'opposition ne veut pas voir que du négatif dans le marathon de la loi sur l'audiovisuel. Pour Assouline, «il y a un véritable débat à ouvrir à toute la société par rapport à cette mainmise de l'Elysée sur les médias et tous les moyens de s'exprimer» .

Paru dans Libération du 5 février 2009

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