Téléchargement illégal: pendant ce temps-là, l'Alpa alpague

par Sophian Fanen
publié le 15 mai 2012 à 17h01
(mis à jour le 15 mai 2012 à 18h21)

Le premier procès d'un internaute flashé par l'Hadopi ne sera finalement pas pour tout de suite. Alors que la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet avait annoncé mi-février avoir adressé à la justice «plusieurs» dossiers d'internautes selon elle responsables de «manquement à l'obligation de surveillance de l'accès à Internet» , on attend le moment où un parquet décidera de poursuivre la procédure -- et donc de voir le système de la riposte graduée mis à l'épreuve.

Or, selon l'AFP, un internaute doit comparaître «pour téléchargement illégal» , suite à un signalement de l'Hadopi, demain devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Le timing n'est pas incohérent, mais cette information a éveillé le souvenir d'une autre affaire en attente de jugement: celle d'un quadragénaire repéré en juin 2011 par l'Alpa, l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle. Selon elle, cet homme aurait mis à disposition via eMule 18 films pendant une même journée.

Information prise auprès de l'Alpa, c'est bien cette affaire qui passera demain en jugement à Bordeaux, et elle n'a rien à voir avec l'Hadopi. «Ce sont deux procédures distinctes, explique le délégué général de l'Alpa, Frédéric Delacroix. Nous surveillons en permanence une centaine d'œuvres audiovisuelles, qui peuvent être des films actuellement en salle, des films du catalogue [donc déjà anciens, ndlr], des DVD, des documentaires ou des séries télévisées. Ensuite, nous avons reçu une autorisation de la Cnil d'extraire de notre collecte la connexion qui a mis à disposition le plus d'œuvres protégées. On sollicite alors le parquet.»

Un signalement qui est pour sa part directement lié à la procédure de l'Hadopi. En tant que représentante d'ayants droit, l'Alpa a en effet reçu de la Cnil, via deux délibérations consécutives, l'autorisation de suivre les repérages menés par TMG pour la Haute autorité afin d'y isoler deux cas particuliers: «la première mise à disposition détectée [d'une] œuvre ou [d'un] objet protégé» , et «la plus importante mise à disposition par un utilisateur au cours d'une même collecte» . Ceci cinq fois par semaine (les collectes du samedi et du dimanche sont regroupées avec celle du lundi). Ce qui fait théoriquement dix dossiers par semaine qui peuvent donc suivre deux procédures distinctes: direction le parquet, directement, ou direction l'un ou l'autre des échelons de la riposte graduée (Hadopi). L'Alpa avance «plusieurs dizaines de dossiers» transmis à la justice ces derniers mois, ceux concernant une contrefaçon physique étant minoritaires.

«L'Hadopi a davantage un rôle pédagogique face au phénomène de masse, elle est là pour expliquer, estime Frédéric Delacroix. L'Alpa essaye pour sa part de s'en prendre aux primodiffuseurs, ceux qui se font de l'argent avec des œuvres protégées. La réponse graduée est venue se greffer sur ce travail, qui n'est de plus pas mené seulement sur les plateformes de peer-to-peer.» Et d'expliquer que, depuis la fermeture de MegaUpload fin janvier, suivie du sabordage de nombreux services similaires de téléchargement direct, ces primodiffuseurs ont selon lui migré «vers d'autres plateformes moins faciles d'accès et payantes, ce qui décourage une partie des internautes» .

L'Alpa a aussi aujourd'hui dans son collimateur «les annuaires de liens» du genre Filestube, qui se rémunèrent avec des abonnements ou la publicité. «Le moteur de la piraterie aujourd'hui c'est l'argent, continue Frédéric Delacroix. Ce sont des réseaux qui font de l'argent en diffusant des liens vers des œuvres protégées. Le non-marchand n'est plus une motivation.» Une affirmation qui pose pas mal de questions, tant l'implosion du direct download a éparpillé les pratiques et changé la donne, certains internautes partant vers davantage de streaming légal, d'autres rejoignant des forums fermés, d'autres encore se repliant vers le peer-to-peer anonymisé. Dans cette masse encore plus difficile à appréhender que fin 2011, difficile d'affirmer que la part «organisée» des liens mis à disposition a pris de l'ampleur.

Mais quoi qu'il en soit, la poursuite de la surveillance étroite menée par l'Alpa montre-t-elle l'échec de la pédagogie de l'Hadopi? La Haute autorité ne servirait-elle qu'à adresser quelques dossiers à la justice, qui n'est même pas sûr que les preuves qu'ils contiennent (adresse IP, œuvres repérées...) soient recevables dans le cadre d'un procès, tandis que d'autres procédures en partie appuyées sur le code de la propriété intellectuelle français font le même «travail» plus rapidement?

Pendant la campagne, l'équipe de François Hollande avait souhaité, sans jamais être clair sur l'avenir de l'Hadopi, voir la lutte contre la contrefaçon commerciale redevenir la priorité. Tout ça reste à voir, mais ces procédures s'appuieront-elles, comme le fait l'Alpa aujourd'hui, sur les repérages effectués par TMG, avec toutes les questions de transparence et de respect de la vie privée qui ont été soulevées depuis l'entrée en fonction de la surveillance des réseaux peer-to-peer?

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