Télécoms : le gendarme mis au pas

par Catherine Maussion
publié le 17 janvier 2011 à 12h24

C'est quasiment chose faite : le gouvernement disposera bientôt d'un siège chez le régulateur des télécoms , l'Arcep. En l'espèce, un commissaire du gouvernement. L'amendement-surprise devait être voté hier soir par les députés. Et il crée beaucoup d'émoi en dépit des dénégations, mercredi, de son instigateur, le ministre de l'Industrie, Éric Besson : «Ce n'est ni une mise sous tutelle ni une remise en cause de l'indépendance de l'instance.»

Sidération du monde des télécoms et de la gent politique, d'abord en raison de la rapidité avec laquelle le gouvernement a dégainé : rien n'a filtré du dessein du ministre jusqu'à mercredi. L'amendement a été accroché à un texte technique lundi, trois jours avant le débat. Celui-ci s'est tenu, comme prévu, dans la soirée d'hier. Sidération également teintée de réprobation face à l'inélégance de la méthode : Eric Besson a dévoilé l'initiative sous les ors des plafonds de la Sorbonne, mercredi, alors qu'il était invité par l'Arcep à ses vœux. Pour Laure de la Raudière, députée UMP et spécialiste des télécoms, la précipitation du vote «a créé de la suspicion. Tout cela explique l'émotion. Mais cela ne la justifie pas» .

Pourtant, très vite, les langues se sont déliées, soulignant les risques d'une emprise du politique sur l'Autorité et d'une vigueur accrue donnée aux lobbys. Jusqu'à la Commission européenne, qui s'en est émue hier, déclarant qu'elle allait «vérifier de très près la conformité de ce projet avec la réglementation européenne» , en fervente supportrice d'une Arcep «indépendante et impartiale» . De fait, sur beaucoup de dossiers, les forces sont à l'œuvre pour mettre au pas le gendarme des télécoms. Exemple : celui de la défense des consommateurs. En novembre, coup de théâtre, l'Arcep se saisit du sujet et met en consultation publique 30 propositions de protection des abonnés. Certaines hérissent les opérateurs, comme l'obligation de proposer des offres sans engagement pour le mobile, ou de définir, pour Internet comme pour les portables, des standards de qualité. Commentaire d'un dirigeant d'un opérateur mobile, mercredi, à la réception sorbonnarde : «Mais de quoi se mêle l'Arcep ? Normalement, c'est une compétence qu'elle partage avec le politique.» En l'occurrence, le secrétaire d'Etat à la Consommation ou les agents de la répression des fraudes (DGCCRF).

Grincements de dents aussi du côté des services de l'État. Ses ministres ne pourront plus se targuer de donner leur nom à une loi, comme l'a fait Luc Chatel en rendant, par exemple, les hot-lines gratuites. «C'est vrai qu'on déshabille un peu la DGCCRF, et qu'on coupe l'herbe sous le pied au secrétaire d'État à la Consommation» , reconnaît-on à l'Arcep. Mais l'Autorité sait pouvoir compter sur le soutien des consommateurs. Hier, Alain Bazot, le président de l'UFC-Que choisir, dénonçait sur son blog, «un gouvernement qui veut carrément sa place à l'Arcep» .

L'octroi des futures licences de téléphonie mobile est potentiellement un autre enjeu de conflit, entre un État financièrement exsangue et une Autorité privilégiant la couverture du territoire. «L'Etat a sans doute envie que cela se passe le mieux possible pour ses caisses» , commentait hier François Brottes, député PS, alors que Besson s'apprête à lancer l'appel d'offres pour les futures licences 4 G. Et un opérateur faisait remarquer dès mercredi soir : «Regardez, Bercy a inscrit 2 milliards d'euros de recette pour les futures licences dans la loi de finances.» Il y avait déjà eu de beaux bras de fer : au moment de l'envolée des enchères autour des licences 3 G ou, tout récemment, autour de l'opportunité de faire entrer un quatrième opérateur -- en l'occurrence Free -- sur le marché du mobile. L'Arcep avait dû argumenter face au lobbying de Bouygues à l'Elysée. Avant que, finalement, François Fillon ne tranche au cœur de l'été 2009 en faveur de Free.

Et que dire du conflit d'intérêts de la puissance publique autour de France Télécom ? Mercredi soir, le régulateur des télécoms a répliqué crânement au ministre Besson, évoquant «la confusion des rôles entre l'Etat régulateur et l'Etat actionnaire» . Il est allé jusqu'à agiter le spectre de «l'effroyable crise du Crédit lyonnais» .

Pour mémoire, l'Etat est toujours le premier actionnaire de l'opérateur, avec 26,73% du capital, et l'action reste au plus bas. Hier, le syndicat CFE-CGC - Unsa, puissant chez France Télécom, n'a pas semblé être vraiment fâché par l'irruption d'un commissaire à l'Arcep. S'il y a une cause qui cimente la direction de l'opérateur avec ses syndicats, c'est bien la résistance à la montée en puissance de la concurrence. «Faut-il dissoudre Arcep ?» s'interrogeait ainsi hier la CGC.

Paru dans Libération du 14 janvier 2011

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