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Libération

«The Big C» : plus cru, tumeur

par Fabrice Rousselot
publié le 3 juin 2011 à 18h23

De notre envoyé spécial à Stamford (Connecticut)

Trois fois, Laura Linney vient vérifier son texte. Elle feuillette le script et repart répéter, en frappant son front du poing. Comme pour mieux se faire entrer les mots dans le crâne. Elle passe du côté des caméras et… «Action !» Cathy, son personnage, est dans une salle d'attente et va commencer un traitement d'acupuncture. C'est elle la malade, mais c'est son frère, Sean, qui a l'air le plus atteint. Soudain, il part en vrille, l'engueule, et pique une crise plutôt malvenue. Du coup, Cathy, atteinte d'un cancer incurable, est obligée de s'excuser platement pour l'esclandre. «Ma famille est un peu brusque, tendue et elle ne peut jamais se relaxer» , lâche-t-elle en guise d'explication, un sourire entendu aux lèvres…

A elle seule, la scène résume assez bien The Big C , la comédie qui sera diffusée sur Canal + au premier trimestre 2012. C'est aussi la première série à aborder de façon aussi directe et énergique, à la télévision américaine, le tabou du cancer et de la mortalité [euh, Breaking Bad anyone ? ndlr] . Avec The Big C , c'est le monde à l'envers, on ne sait jamais à quoi s'attendre, et c'est tant mieux. Aux Etats-Unis, le feuilleton, déjà culte, en est à sa deuxième saison sur la chaîne câblée Showtime.

The Big C raconte donc l'histoire de Cathy Jamison, une professeure de lycée, à qui on annonce soudain qu'elle est atteinte d'un mélanome en phase terminale. Mais Cathy, interprétée par la remarquable Laura Linney, plus connue au cinéma pour ses rôles dans Love Actually, Mystic River ou la Famille Savage , ne réagit pas vraiment comme on pourrait l'imaginer. Elle ne dit rien à personne, se débarrasse (temporairement) de son mari, fait construire une piscine dans son jardin, achète une Ford Mustang rouge, prend un amant et verse une bouteille de vin sur son sofa avant de le faire brûler. Non sans avoir prononcé cette imparable réplique : «J'ai toujours détesté ce canapé, et maintenant c'en est fini.»

Photo Showtime

La série se déroule à Minneapolis, dans le Minnesota, mais elle est tournée dans les studios du Connecticut Film Center, à Stamford, au nord de New York. On y retrouve la maison jaune familière, un nouveau sofa et la Westhill High School, l'école de Cathy. Sur le mur du couloir, un slogan a été peint autour d'une fresque : «Rêvez en grand.» «Pour nous, The Big C est venu quand on s'est dit qu'il était temps de parler ouvertement d'un sujet comme le cancer dans une fiction à la télévision et de toutes ces maladies que l'on n'ose pas évoquer , explique Jenny Bicks, la productrice, à qui on a diagnostiqué un cancer du sein - aujourd'hui guéri - il y a une dizaine d'années. Mais ce que l'on a voulu montrer, c'est comment on peut vivre au mieux le temps qui nous est imparti. Quelles que soient les circonstances et même si la mort est un obstacle.»

Le résultat, c'est un ton indéfinissable, politiquement incorrect, une comédie entre larmes et délire qui ne choisit jamais la facilité. A sa voisine Marlene, la vieille emmerdeuse qui deviendra sa confidente, et se plaint de la construction de la piscine, Cathy lance un jour : «You are a fucking cunt» , ce qui, aux Etats-Unis, est certainement la plus grosse injure pour une femme et qui peut se traduire par «espèce d'enculée de salope» . A Andréa, l'élève en surpoids interprétée par Gabourey Sidibe, révélée au cinéma dans le rôle de Precious , Cathy propose un marché : 100 dollars (70 euros) à chaque fois qu'elle perd 500 grammes… Et quand Adam, le fils, refuse de tirer la chasse d'eau dans les toilettes après son passage, elle conserve littéralement sa merde dans un seau pour qu'il nettoie. «Pour moi, tout est surprenant dans The Big C, personne ne sait ce qui va se passer d'un épisode à l'autre, même pas les acteurs» , résume Gabourey Sidibe, entre deux éclats de rire, sur le tournage.

En fait, The Big C doit beaucoup à ses personnages et à l'espèce de douce folie qu'ils parviennent à créer à l'écran. Cathy, évidemment, touchée par la maladie, tout à fait normale en apparence, déjantée à souhait quand il le faut, mais qui sait toujours trouver son point d'équilibre dans la tourmente. Sean aussi, le frère colérique qui a décidé de vivre comme un sans-abri et de ne pas se laver pour mieux faire passer son message anticonsumériste. Sans oublier le mari bisounours et dépassé (Oliver Platt). «On est constamment sur le fil du rasoir , assure John Benjamin Hickey, qui joue Sean et que l'on a pu voir au cinéma et au théâtre, tous les personnages sont anticonventionnels, on casse totalement les règles quant aux réactions des uns ou des autres devant la maladie, les mauvaises nouvelles. Mais il faut aussi toujours faire attention à ne pas aller trop loin, à ne pas en faire trop.»

Si The Big C confirme son succès sur Showtime, qui est en train de voler à HBO le titre de meilleure chaîne câblée du moment, la série devrait compter cinq saisons. Afin d'illustrer les cinq étapes du deuil, comme le rappelle la productrice Jenny Bicks : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l'acceptation. Dans la deuxième saison, Cathy a d'ailleurs clairement décidé de se battre et de vendre chèrement sa peau. «C'est un feuilleton sur la vie, sur la vie comme on peut la célébrer avec le cancer» , conclut doucement Jenny Bicks.

Paru dans Libération du 01/06/2011

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