Critique

Thomas grisé par Christie

V.F. Troisième adaptation réussie.
par Eric Loret
publié le 15 octobre 2008 à 6h51
(mis à jour le 15 octobre 2008 à 6h51)

Puisqu'on ne peut pas raconter l'histoire (c'est une enquête et il y a un mort), il ne reste plus qu'à causer cinéma. Après Mon petit doigt m'a dit et l'excellent l'Heure zéro, ce Crime, troisième adaptation d'Agatha Christie par Pascal Thomas, est plus lisible et moins ludique, mais aussi, à nos yeux, moins thomasien. Dans le film, «thomasinus» est l'épithète d'une espèce de papillon chassé par tante Babette (Annie Cordy), objet voletant qui se laisse volontiers épingler. Le cinéma de Thomas a sans doute cette légèreté, cette couleur et cette beauté propres aux lépidoptères, qui ne tient qu'à leur caractère éphémère. Il faut en jouir avec brièveté mais les vouloir faire durer, c'est tuer leur intérêt. Trois séquences donnent à peu près le mode d'emploi du film. La première, la plus mémorable, montre Annie Cordy dans un wagon, assistant à un meurtre dans un autre train, en marche contraire sur la voie parallèle. Le post-traitement de l'image est tel que la vision apparaît surréelle, surjouée, exactement comme sur un écran de cinéma qui serait aussi la scène des fantasmes de la vieille dame. Le reste du film fonctionne identiquement : chaque porte, couloir, cave, est le précurseur de nos peurs intimes, mais tenu à distance par un humour proprement écranique, cinématographique. Le Crime est notre affaire est un film littéralement projeté.

La seconde séquence montre Catherine Frot au volant de son coupé qui fait le tour d'un rond-point. Puis, sans raison, elle refait un tour. Plaisir enfantin de l'itération. Thomas aime labourer son sillon, rejouer sur les mêmes lieux mentaux. Le procédé sert ici à masquer les divagations de l'enquête, car ce qui se ressemble ne s'assemble finalement pas. C'est une troisième lecture possible d'un opus thomasinum, par là vrai cinéma et non théâtre filmé : le drame y est subordonné au mouvement et non l'habituel contraire. Comme dit Rimbaud, «la poésie ne rythmera plus l'action, elle sera en avant».

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