Disparition

Tony Curtis, du chaud au froid

L’acteur américain révélé par «Certains l’aiment chaud» est mort hier à l’âge de 85 ans.
par Gérard Lefort
publié le 1er octobre 2010 à 0h00
(mis à jour le 1er octobre 2010 à 16h36)

Impossible de jeter des fleurs sur la tombe de Tony Curtis, mort hier à Las Vegas à 85 ans d’une crise cardiaque, sans aborder la notion d’hétéro-folle qui le définit à merveille. Hétéro, Tony Curtis l’était comme une seconde nature. Outre ses six épouses officielles, on lui prête moult escapades : Yvonne De Carlo, Natalie Wood, mais aussi et surtout Marilyn Monroe. Dans son autobiographie, publiée en mars (1), l’acteur évoquait sa rencontre avec la blonde atomique bien avant le tournage de Certains l’aiment chaud en 1958 et le revenez-y sur le plateau, reniant à l’occasion le bon mot vachard qu’on lui prêta : «Embrasser Marilyn, c’est comme embrasser Hitler.» Il y confiait plutôt une infinie tendresse pour la «fille paumée» déjà aux prises avec le démon des dépressions. Et d’ajouter, parfait gentleman du sexe, que faire l’amour avec Marilyn fut une de ses plus brûlantes expériences. Hommage d’autant plus émouvant que Curtis était un professionnel du bon coup de chaud : «J’avoue qu’à l’exception des chiens, des éléphants et des hommes, je l’ai fait avec tout ce qui bouge, pourvu que cela soit perché sur une hauteur déraisonnable de talons aiguilles.»

Chapeau Cloche. Pourtant entre Marilyn et Tony, la plus fofolle des deux n'est pas celle qu'on croit. D'abord, d'évidence, en raison de son rôle le plus célèbre parmi les 140 films à son actif, justement celui de Joe dans Certains l'aiment chaud de Billy Wilder, film décidément crucial puisqu'il le rendit célèbre et fixa son image d'acteur marrant. Bref rappel des faits : afin d'échapper à la mafia qui les traque pour avoir été les témoins d'un règlement de comptes, Jerry (Jack Lemmon) et Joe (Tony Curtis), deux musiciens de variétés, se travestissent et se font engager dans un orchestre féminin en partance pour la Floride. Il faut voir et revoir jusqu'au torrent de larmes (de joie) la première apparition des deux «copines» sur le quai d'une gare : soit donc Joséphine (Curtis) et Daphné (Lemmon), ne maîtrisant pas encore les chaussures à talons mais par contre déjà très au point quant au port du chapeau cloche, de la robe charleston (l'action se situe dans les années 20) et surtout parfaitement perruquées et maquillées avec juste qu'il faut (de trop) de rouge à lèvres. Une leçon pour ceux qui estiment qu'on ne naît pas femme mais qu'on le devient, le film étant par ailleurs une glose à tiroirs sur la question des genres : dans le registre de l'hyper féminité, entre Marilyn, Tony-Joséphine et Jack-Daphné, miss Monroe est incontestablement la plus travelo des trois. Quant aux cris suraigus et à la bouche en cul-de-poule, ce fut un festival de surenchères entre Lemmon et Curtis : «Chacun se trouvait mieux que l'autre en fille.» Autre date clef qui va labéliser Curtis en icône crypto gay : 1971, la série Amicalement vôtre qui va imprégner toute une génération (lire ci contre).

Mais dès la fin des années 50, le mâle est fait. On peut être un tombeur de filles et triompher au box-office travesti en poule de bastringue. Est-ce à dire qu’il y avait une femme en Tony ? Comme tout un chacun, si on veut bien admettre qu’il est triste d’être une seule chose à la fois. La psychanalyse de Monoprix étant vite fatigante, on misera plutôt sur son ambiguïté physique. Toute vieillesse étant un naufrage, les photographies récentes de Tony Curtis ne révélaient plus rien de son sidérant sex-appeal. Un beau gosse né à New York en juin 1925 dans le quartier du Bronx, fils d’un tailleur émigré d’origine juive hongroise. Bernard Schwartz était son vrai nom. Schwartz qui veut dire noir en allemand et en yiddish. Noire comme une enfance menée à l’école de la rue, noire comme la mort accidentelle de Julius, son frère et complice de castagne, noirs comme quelques mois de déchéance familiale ayant conduit les fils Schwartz à l’orphelinat. Mais noire surtout comme sa tignasse de geai en Pompadour décoiffée qui aurait inspiré sa coupe rock à Elvis Presley.

Hongrois rêvé, beauté interlope de vieille Europe centrale, sang mêlé idéal mâtinant le gitan, le turc et le Magyar aux yeux bleus. Il aurait pu être pute, il est devenu acteur, mais on sait que la nuance est ténue. Après avoir participé à la guerre comme sous-marinier, il est repéré en 1945 dans quelque panouille théâtreuse de Broadway par une nièce de David O. Selznick, producteur mogul des studios Universal. A Hollywood, Curtis multiplie les seconds rôles de charme. Jusqu'à un joue à joue de trois minutes avec Yvonne De Carlo dans Criss Cross en 1949. Le caractère torride du duo semble le caser dans les rôles de gouape ténébreuse. Jusqu'a ce qu'il démontre qu'il en avait sous le capot dans deux westerns: Sierra d'Alfred Green (1950) et surtout Winchester 73 d'Antony Mann (1950) où il creuse sa ligne de «vilain» face à James Stewart et Rock Hudson qui, dit-on, aurait bien aimé lui tâter le terrain, en vain.

Huîtres. C'est à cette époque qu'il épouse Janet Leigh, star montante qui l'aidera à gravir quelques marches et lui donnera deux filles, dont l'actrice Jamie Lee Curtis. On retrouve le couple au générique de Houdini (1953) de George Marshall, aimable biographie du fameux magicien, mais surtout en tête d'affiche dans les Vikings (1958) de Richard Fleischer où il campe Erik, le frère fratricide d'Einar (Kirk Douglas), le Viking éborgné. Entre les deux, la princesse Morgane (Janet Leigh) se ronge les tresses d'angoisse.

Même si la même année il tourne Certains l'aiment chaud, Tony Curtis a prouvé qu'il ne fait pas que rire. On le vérifie dans l'Etrangleur de Boston (1968) de Richard Fleischer, où il fait peur en psychopathe assassin. Dans un registre aussi sombre, on l'aime dans Trapèze de Carol Reed (1956), où il fait le ménage à trois avec Kirk Douglas et Gina Lollobrigida. Dans Spartacus de Stanley Kubrick (1960), son très second rôle n'est mémorable que parce qu'une de ses scènes fut coupée par la censure pour un dialogue aux thermes, piégé par des allusions au goût comparé des huîtres et des escargots entre un esclave huilé (Tony Curtis) et son maître en chaleur (Laurence Olivier). Jusqu'à peu, nobody is perfect, Curtis avait délaissé le cinéma au profit d'une vocation de peintre aussi tardive que discutable.

Mais, si on doutait que la vie de Tony Curtis fut entre autres un bel exercice d’humour, on retiendra une de ses dernières volontés : que ses cendres soient répandues au-dessus de Las Vegas.

(1) Certains l’aiment chaud et Marilyn, coécrit avec Mark Vieira (le Serpent à plumes).

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