Toujours plus de réseaux de s’indigner

par Bruno Icher
publié le 5 novembre 2011 à 11h07

Les résidents du quartier de Wall Street et les traders se sont fait une raison : il faudra plus que le froid et la police pour évacuer les braves petits qui occupent le Zuccotti Park, à deux pas de la Bourse new-yorkaise. En attendant que le mouvement gagne toutes les places financières du monde, parmi lesquelles le quartier de La Défense à Paris, la protestation est désormais à portée de clic. Le site occupyinter.net invite administrateurs, webmasters et simples internautes à organiser l'occupation du plus grand espace public du monde : Internet.

La manœuvre est simple. Pour les webmasters et autres professionnels, il s'agit de garnir la page d'accueil du site dont ils ont la charge, au moyen d'une rangée de protestataires armés de panneaux aux slogans anticapitalistes. Ce sont des petites animations en gif, évoquant l'ambiance de kermesse qui fleurit chez les Indignés d'un peu partout. La quasi-totalité des créatures est empruntée à la culture du Net, avec pin-ups, super-héros, personnages de Star Wars , du Seigneur des anneaux , sans oublier des mini-scènes du Big Lebowski ou un Moonwalk de Michael Jackson.

Pour les simples internautes, une application a été lançée afin que chacun puisse occuper un site de son choix par les petites animations indignées. Depuis trois semaines que la chose est opérationnelle, plus de 4 000 sites ont été ainsi «envahis» , ainsi que le stipule la comptabilité rigoureuse de la Free Art and Technology Lab, l'organisation à l'origine de ce mouvement. Parmi eux, un bon contingent de Français, dont, évidemment, des établissements financiers, les journaux (dont Libération ), ou encore des sites institutionnels comme ceux de l'Elysée ou du château de Versailles.

A vrai dire, l'invention n'est pas tout à fait récente -- ce qui ne la rend pas moins pertinente. A son apogée, l'univers persistant Second Life avait été le théâtre de rassemblements idéologiques, et d'ouvertures de succursales de partis politiques. Plus ponctuel et aussi spectaculaire, le Mayday , une manifestation organisée sur le Net depuis le 1er mai 2004 et dont les participants sont des avatars créés par des internautes mécontents.

Au passage, outre le caractère amusant de voir des milliers de petits personnages se serrer les coudes pour crier leur colère, on connaît ici, à l’unité près, le nombre exact de manifestants sans avoir recours, pour une fois, aux toujours divertissantes estimations de la police.

Dans un registre proche, les designers qui participent en ce moment au mouvement de protestation d'Occupy Wall Street ont mis à disposition du grand public une série de pictogrammes aussi beaux qu'efficaces pour bien relayer les motifs de la grogne. Des panneaux à télécharger, gratuitement bien sûr, à imprimer (sur du papier recyclé, sinon ça peut les mettre en rogne) et à brandir dans toutes circonstances, notamment quand des caméras sont dans le périmètre.

Ces initiatives, sous des apparences parfois potaches, soulèvent un point que n'a pas manqué de souligner le collectif d'artistes Rhizome sur son site : «Les occupants jouent aux échecs avec de vraies pièces d'échecs, ils lisent des livres faits de vrai papier. Ils participent à des activités qu'Internet contribue à rendre immatérielles. Une part de la vision utopique de Zuccotti Park s'apparente à un microcosme où les mondes réels et virtuels peuvent coexister en paix. » Nous voilà soudain bien loin du gadget geek.

Paru dans Libération du 5 novembre 2011

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