Tout-payant : Murdoch veut le salaire du labeur

par Sonia Delesalle-Stolper
publié le 25 juin 2010 à 9h46

«Moins que le prix d'une tasse de café.» C'est avec cet argument commercial massue que News Corporation, le groupe du magnat Rupert Murdoch, lance ce mois-ci une petite révolution : l'introduction de nouveaux sites internet payants pour son quotidien britannique phare The Times et son cousin du dimanche The Sunday Times .

À 1 livre sterling (1,20 euro) pour un accès d'une journée et 2 livres pour un accès d'une semaine, «le prix est juste et économiquement plus viable pour notre entreprise que d'offrir nos informations gratuitement», estime un porte-parole de la compagnie. «Le prix est surtout ridiculement bas , juge le professeur George Brock, directeur du département de journalisme à la City University London. Ils doivent espérer qu'une fois une liste d'abonnés stables établie, ils augmenteront le prix. Mais alors ils devront aussi améliorer le contenu et l'offre pour justifier cette hausse.»

Jusqu'à la fin du mois d'avril, le site Times Online réunissait gratuitement les informations du Times et du Sunday Times sur un seul portail. Désormais, ces journaux disposent chacun d'un site propre, (Thetimes.co.uk et Thesundaytimes.co.uk) totalement redessiné. Tous deux ressemblent étonnamment aux éditions papier. A ce jour, l'accès est encore libre à condition de s'enregistrer, mais devrait devenir payant «très prochainement, d'ici quelques semaines» , a expliqué News Corp, qui refuse de donner de date plus précise.

Alors que des publications destinées au monde des affaires comme The Financial Times ou The Economist ont déjà mis en place au cours des trois dernières années des sites internet payants, ce sera la première fois au Royaume-Uni que les informations en ligne de journaux généralistes ne seront plus gratuites.

«Ce que je trouve le plus frappant, c'est qu'ils ont opté pour un site complètement payant , observe George Brock. Même des journaux très spécialisés comme The Wall Street Journal [également dans l'escarcelle de News International, ndlr] ou The Financial Times, dont les abonnements sont souvent payés par les entreprises qui emploient les lecteurs, proposent une offre moins radicale.» À savoir, par exemple pour le Financial Times , la possibilité de consulter gratuitement neuf articles pendant un mois. Rien de tel pour The Times et The Sunday Times , «même si, bien évidemment, il y aura un moment où nous ferons un bilan» , explique Jessica Carsen, porte-parole de News Corp. Et les articles du Times n'apparaîtront plus du tout sur l'écran si le nom du journal est tapé dans un moteur de recherche.

Rupert Murdoch a lancé à plusieurs reprises ces derniers mois des attaques cinglantes contre Google ou Microsoft qui «nous piquent nos histoires pour rien» . «Il est temps d'arrêter d'offrir gratuitement notre contenu éditorial» , a renchéri James Harding, directeur de la rédaction du Times , au moment de la présentation du nouveau site.

News Corp est sans illusion et réalise parfaitement que les journaux risquent de perdre un grand nombre de leurs lecteurs en ligne. La plupart des sondages réalisés ces dernières semaines estiment qu’entre 5 et 10% des 21 millions de visiteurs qui s’inscrivaient jusqu’ici chaque mois sur les sites gratuits seraient prêts à payer. Ce qui représente tout de même 2 à 4 millions de visiteurs potentiels. Et, pour attirer ces possibles abonnés, News Corp a concocté un service «Times+», qui offre un accès gratuit à certains événements, comme des concerts, des matchs ou des week-ends dans des hôtels de luxe.

A l'instar de la majorité des titres de la presse britannique, le Times perd de l'argent. Le quotidien a annoncé en mai la baisse de 10% de son budget éditorial et le départ de 50 salariés. «Le journalisme de qualité coûte cher, et les journaux doivent trouver des moyens de gagner de l'argent» , analyse George Brock, qui estime qu'il «faudra plusieurs mois avant de pouvoir dresser le bilan de cette expérience» . News Corp n'a pourtant pas l'intention d'attendre qu'un quelconque point sur la situation soit fait avant de lancer sa prochaine initiative. D'ici la fin de l'été, les sites internet du Sun , le quotidien populaire le plus lu au Royaume-Uni, et de sa version dominicale News of the World passeront également à une version payante. En fait, selon George Brock, «News Corp expérimente pour le compte de tout le reste de la presse britannique, qui reste gentiment en embuscade».

Paru dans Libération du 24 juin 2010

De notre correspondante à Londres

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