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Libération

L'Assemblée met le filtrage du net dans les mains du juge

par Astrid GIRARDEAU
publié le 9 octobre 2009 à 16h35

Bloquer les sites de jeux argent illégaux oui si le pouvoir revient au juge. C'est ce que vient de décider l'Assemblée nationale, en adoptant l'article 50, ainsi que les amendements 2 , 80 et 114 , du projet de le loi relatif à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne.

«Entre prohibition et protection des libertés»

La censure du Conseil Constitutionnel sur le projet de loi Création et Internet planait au-dessus de l'hémicycle. Pour rappel, le 10 juin dernier, les Sages interdisaient que la coupure d'un accès à Internet puisse être décidée par une autorité administrative, l'Hadopi. «On ne bloque pas l'accès à Internet, mais à un site illégal, ça n'a rien à voir» , a expliqué en séance Jean-François Lamour, rapporteur de la commission des finances. On ne touche pas à la «liberté d'information» et à la «liberté publique» sans passer par une autorité judiciaire, ont répondu en chœur un ensemble de députés.

Assez houleux, les débats ont également rappelé ceux d'Hadopi. Avec d'un côté, les députés qui s'interrogent sur l'efficacité technique, les risques collatéraux (sur-blocage, blocage par erreur, etc.), le coût financier et le danger en matière de liberté de la mise en place d'un tel dispositif. De l'autre, ceux qui répondent oui peut-être, mais il faut y aller malgré tout et rapidement. «La réactivité conditionne l'efficacité» , a soutenu Jean-François Lamour. Alors que le député socialiste Gaëtan Gorce appelait à «une réflexion, qui ne va cesser de se poser dans les prochaines années, entre prohibition et protection des libertés.»

Le juge introduit dans le processus

L'article 50 présenté ce matin prévoyait que ce soit l'autorité administrative indépendante, l'ARJEL (Autorité de régulation des jeux en ligne) qui ait le pouvoir d'ordonner, à un fournisseur d'accès Internet (FAI) ou à un hébergeur, le blocage d'un site de jeux non-labellisé par l'Etat. En votant les trois amendements, les députés ont rejeté ce processus, et réintroduit le juge.

Désormais, quand un tel site, français ou étranger, sera repéré, l'ARJEL sera chargée de lui envoyer une mise en demeure lui demandant de régulariser sa situation. Sans réponse dans les huit jours, si elle souhaite qu'il soit bloqué, elle devra alors saisir un juge des référés. Et c'est lui qui décidera d'ordonner au FAI ou à l'hébergeur d'empêcher l'accès de ce site depuis la France.

La décision a été prise avec le soutien du ministre du budget, Eric Woerth, mais contre l'avis du rapporteur, Jean-François Lamour. C'est finalement un retour à la version initiale du texte. En effet, comme on le rapportait vendredi dernier , le texte original prévoyait bien le juge, mais lors de son passage en Commission des finances, en juillet dernier, un amendement déposé par Jean-François Lamour a remis le plein pouvoir dans les mains de l'ARJEL . Et ce, malgré l'avis du gouvernement. «Il est plus sûr de passer par le juge» , indiquait alors Eric Woerth.

«Toute mesure de blocage est contournable»

«Toute mesure de blocage est contournable. Je suis conscient que c'est un sujet pas évident. Et aujourd'hui on a pas de solutions sans avoir des dommages collatéraux» , a expliqué le député UMP Lionel Tardy. Et de citer le cas du site révisionniste Aaargh, qui est réapparu presque aussitôt après la décision du tribunal de Paris d'interdire son accès. Selon lui, on aurait mieux à faire en agissant sur la maîtrise des flux financiers.

«Je suis convaincu que les FAI savent le faire, je ne peux pas entendre qu'on ne maîtrise pas un outil comme celui-là» , a répondu Jean-François Lamour. Tout en reconnaissant que, seul, le blocage serait «une barrière pas suffisamment haute et solide» pour lutter contre les sites illégaux, mais qu'il faut l'apprécier dans un paquet, qui comprend également le développement «d'une offre légale, concurrentielle et diversifiée» . Il a également admis que cela serait contournable, mais pour une infime minorité.

De même, Eric Woerth estime qu'on ne peut pas avoir «une vision si laxiste du sujet» . Il évoque alors une série de chiffres (dont on ne connaît pas la source). Par exemple «qu'on sait faire pour 95% des cas» , et que le blocage sera utile pour «98% des joueurs» .

«Et si non, on est mal»

«Si le blocage ne peut être efficace, alors il faut aller se coucher ! , a répliqué de son côté le député UMP Jaques Myard. Vous me dites que la Fédération Française des Télécoms a mis en place un système qui fait passer l'information de droite et de gauche et que nous ne sommes pas capables de le réguler et de bloquer un site. Eh bien je dis non !»

Selon lui, on est «parfaitement capable de le faire à 98-99%, mais ça demande de gros moyens, ça nécessite des ordinateurs puissants. Et connaissant l'industrie de l'armement, je sais que ça existe ! Et si non, on est mal, car derrière, c'est l'ensemble d'un système économique qui sera mis par terre.»

«Ouvrir la porte à d'autres possibilités de filtrage»

Pour le député Gaëtan Gorce, cette question pose un problème de liberté publique et risque d'ouvrir la boîte de Pandore. «Confier à une autorité administrative, même indépendante, de bloquer des sites, c'est entraver l'exercice d'une liberté et ouvrir la porte à d'autres possibilités de filtrage» , a t-il déclaré en séance. Selon lui, «on risque de mettre en place un engrenage où l'administration se donnerait le droit de filtrer les sites qui lui posent problème.»

Conscient que la question du filtrage (déjà posée dans Hadopi, et bientôt de nouveau abordée dans la Loppsi) va revenir fréquemment devant le parlement, il souhaite qu'il y ait une réflexion de fond sur «une philosophie et des principes qui nous permettent d'aborder ces questions plus sereinement» .

Par ce nouveau vote, les députés actent le recours au blocage comme méthode pour lutter contre les sites illégaux. Maintenant, comme pour la loi Création et Internet, reste la difficulté pratique de sa mise en application.

Les débats ne sont pas terminés, comme nous le fait remarquer Lionel Tardy. Le projet, n'étant pas en urgence, passera en deuxième lecture.

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