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Libération
Critique

Traci Lords en mode mineure.

Réédition de six films avec l'actrice qui, en tournant sans être majeure, fit scandale dans les années 80.
par Philippe Azoury
publié le 20 mai 2006 à 21h16

Il y a exactement vingt ans, au printemps 1986, alors qu'elle flirtait dans les rues de Paris (pour y tourner Traci, je t'aime), l'appartement angeleno de Traci Lords était visité de fond en comble par la police fédérale de Los Angeles venue arrêter, à la suite d'un mandat d'arrêt ordonné par ses propres parents, l'actrice qui venait à peine de fêter ses 18 ans, bien qu'elle exerçât comme hardeuse professionnelle depuis trois années. Ce fut le plus grand scandale de l'histoire du porno. Traci se planqua des mois entiers pour échapper au FBI, Reagan profita du choc médiatique pour ordonner une commission sénatoriale antiporno et, par peur d'être éclaboussés par l'affaire, les distributeurs retirèrent à la hâte la quarantaine de films dans lesquels la Lords apparaissait. Certains producteurs allèrent jusqu'à détruire les négatifs des films et les matrices vidéo, comme on efface des preuves. Au final, la communauté X fut blanchie : Traci travaillait depuis 1983 sous une carte d'identité trafiquée par ses propres soins, et personne ne s'était douté une seconde qu'elle fut mineure. «C'est qu'elle en savait plus sur le sexe que toute l'industrie du porno réunie», articula un jour sa rivale de l'époque Christy Cannyon.

Les années 80 étant devenues la dernière frontière romantique en date (oui, romantique) des cinéphiles, on peut se réjouir de trouver enfin deux DVD compilant chaque fois trois films de la plus belle poitrine en poire de l'histoire de l'humanité. Un travail d'édition à cent lieux de la mécanique industrielle habituelle : Alpha France a ressorti des copies léchées, disponibles autant en version française qu'en version originale (primordial pour qui goûte les hennissements de Miss Lords), alors que l'on pensait que toute cette matière première avait disparu dans la bérézina collective.

Le premier DVD (réunissant Love Bites, la Rage de jouir, l'Initiation de Mandy) n'est qu'un apéritif comparé à la seconde salve regroupant Irrésistible Sirène dans sa version initiale (le film avait été entièrement retourné alors que Traci était en cavale), l'Initiatrice et la Toute Première Fois, deux fictions «collège» très ambiguës question précocité, qui sont au X ce que Virgin Suicide est au cinéma indépendant. Les filles y portent la panoplie cheerleaders et les garçons le pull en V, les bandes originales sont estampillées 1984 (à chaque instant, un tube de Hall and Oats menace de vous gâcher le plaisir) et les scénarios prépubères ont la perte du pucelage pour souci majeur. Dans le premier, un fils de bonne famille arrive dans une faculté débauchée, le bizut est sommé de trouver une fille sous quinzaine. Emprunté, fleur bleue, il sera initié par sa propre soeur, Traci, la pyromane du campus. On retourne la situation dans la Toute Première Fois (Breakin'It en VO, plus crade), puisque c'est à Traci de jouer les vierges taraudées de désirs, menant une entreprise de harcèlement envers son prof de littérature (le playboy John Leslie, futur réalisateur légendaire des années 90).

On nous bassine depuis vingt ans avec une utopie de porno où hardeurs et hardeuses joueraient bien la comédie : cet idéal du cinéma combustible est là, intact. Et quand Traci se retourne les yeux au ciel en susurrant «Glad you were the first», oh Lords !

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