«Trop d’interactivité risque d’accentuer l’agitation politique»

Dominique Wolton, chercheur au CNRS, critique l’emballement des gouvernants pour le Web.
par Nathalie Raulin
publié le 4 août 2008 à 11h14

Directeur de l’Institut des sciences de la communication du CNRS, Dominique Wolton explique les raisons pour lesquelles les hommes et femmes politiques cherchent à établir un lien direct avec les électeurs et les limites de cette stratégie.

Que pensez-vous de l’engouement des dirigeants politiques pour les réseaux communautaires, les forums ou les blogs Internet ?

_ Il faut relativiser historiquement. Un tuyau supplémentaire, quelle que soit sa puissance ou son interactivité, ne suffit pas à changer les rapports sociaux, culturels et politiques. Ce phénomène de nouveaux systèmes de communication a déjà existé. On s’aperçoit au bout d’un moment qu’il n’a pas forcément les vertus qu’on lui prêtait au départ. Le tuyau est le même, mais les sociétés et les cultures sont différentes. Quand les radios libres et les chaînes de télé communautaires sont apparues, tout le monde a célébré une nouvelle critique de la politique, des modes de vies. Finalement, ces chaînes communautaires ont disparu, et les radios libres sont intégrées dans des groupes de communication.

Vous ne pensez pas qu’Internet révolutionne les rapports entre politiques et citoyens ?

_ C’est vrai qu’Internet constitue un contre-pouvoir. La presse écrite et audiovisuelle a tendance à s’institutionnaliser, et donc à limiter l’expression des citoyens. En réaction, ces derniers, ceux de 15 à 45 ans car tout le monde ne passe pas sa vie sur Internet, se sont mis à utiliser le Web pour contourner les médias officiels. En outre, tout le monde a désormais accès à énormément d’informations, ce qui représente un progrès inouï. L’émergence de ces nouveaux réseaux permet de s’exprimer, de faire passer de nouveaux messages et parfois de mener des luttes politiques, ce qu’ont bien compris les ONG. C’est le côté positif de ces systèmes d’information, qui ne sont pas forcément toujours un média.

Il y a donc un revers de la médaille ?

_ Evidemment. Les hommes politiques, qui sont déjà sous pression, s’imaginent qu’avec ces nouveaux moyens de communication ils vont échapper à la tyrannie journalistique et instaurer un lien direct avec le public. D’où l’explosion des blogs et forums. L’ennui, c’est que ce type d’activité est chronophage et ne remplace ni les médias traditionnels, ni surtout les contacts humains et sociaux, et encore moins l’action. Cela oblige donc l’homme politique à gérer encore plus de flux d’informations et d’interactions. Au risque d’une saturation du message politique.

D’autre part, il y a une illusion de la transparence. L’action politique, c’est autre chose que savoir en permanence ce que dit l’homme politique. Ce dernier a besoin de silence, de durée. Il ne peut être constamment dans une relation interactive. Plutôt que d’améliorer la démocratie, trop d’interactivité risque d’accentuer l’agitation politico-médiatico-démocratique. Le public rentre dans une sorte de voyeurisme vis-à-vis des hommes politiques : il veut en savoir toujours plus tout en n’étant jamais rassuré. Avec un risque de poujadisme : si on sait autant de choses, c’est qu’on nous en cache encore plus. La politique, c’est compliqué et lent. Il ne faut pas céder à l’idéologie technique.

Sur le fond, Internet ne révolutionnera donc pas la manière de faire de la politique ?

_ Il faut sortir du fantasme de la toute-puissance du tuyau pour transformer la politique. Comme il faut sortir de l’illusion de croire que, si on contrôle un média, on contrôle les consciences. Ce n’est pas parce que l’on tient des groupes de communication que l’on tient le pays. On ne tient pas les peuples (sauf en cas de dictature, et encore) par la concentration des médias. Le silence du récepteur ne veut pas dire adhésion aux messages qu’il reçoit, surtout s’ils vont tous dans le même sens. La communication politique est un jeu compliqué à trois acteurs - hommes politiques, médias et opinion publique. Attention au déséquilibre, dont aucun ne sera finalement bénéficiaire.

Qu’est-ce qui change alors ?

_ L’accélération de la production et de la transmission des informations modifie le style de communication. On va davantage vers du direct. On a longtemps rêvé d’une information en temps réel au prétexte qu’elle allait permettre de mieux comprendre le monde. Nous sommes dans cet idéal de la vérité instantanée du direct. On s’aperçoit aujourd’hui de ses limites. Le direct ne vaut pas grand-chose sans son contexte, sans mise en perspective, sans connaissances.

La question aujourd’hui est que le temps de la politique ne peut pas être le temps du média ou du direct. La compréhension, l’action, requièrent du temps. La société ne change pas au rythme des médias et de leurs interactions. Il faut compenser cette vitesse par la conscience aiguë que les sociétés sont lentes et complexes, surtout à l’heure de l’ouverture des unes sur les autres et du charivari provoqué par la mondialisation. Le fait de parler d’un problème ne suffit pas à le résoudre.

Comment les choses vont-elles évoluer selon vous ?

_ Dans moins de cinq ans, l’engouement actuel pour les nouveaux modes de communication interactif va se relativiser. Les hommes politiques auront une utilisation plus sélective d’Internet. Ils vont réaliser que leur crédibilité ne dépend pas de l’usage des technologies mais de leur capacité d’action et de conviction. Les citoyens n’accordent finalement leur confiance à un homme politique qu’en fonction des choix qu’ils ont fait et de ce qui a été accompli.

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