Twitter et la pub qui «résonne»

par Alexandre Hervaud
publié le 15 avril 2010 à 10h41
(mis à jour le 15 avril 2010 à 10h45)

C'est bien beau de vivre niché sur les fonds de généreux investisseurs, mais au bout d'un moment, un petit oiseau doit voler de ses propres ailes et gagner ses graines tout seul. Cette affreuse métaphore ornithologique, que l'on s'interdit de refaire un jour, sied parfaitement au destin de Twitter, le service de microblogging qui permet à ses utilisateurs de s'exprimer («gazouiller») en 140 caractères. On peut s'abonner au flux de quidams lambda, mais aussi de Jim Carrey , Aure Atika ou Ecrans.fr , par exemple. 105 millions de comptes existent (ils sont loin d'être tous actifs, évidemment), et le site attire près de 180 millions de visiteurs uniques par mois a-t-on appris hier à la conférence Chirp , dédiée aux développeurs du service. Gratuitement accessible, Twitter, qui s'est récemment payé une application mobile «officielle» et emploie 175 personnes, ne pouvait décemment pas vivre d'amour et d'eau fraîche et son modèle économique. Un modèle plutôt flou jusqu'à il y a peu, et qui a longtemps suscité doute et incompréhension chez les observateurs. Ce n'est pas tant la fin (inévitablement, la publicité) que les moyens (comment la présenter de manière judicieuses aux utilisateurs) qui posait question.

Depuis le début de la semaine , on en sait un peu plus sur la stratégie publicitaire de l'entreprise. Son co-fondateur, Biz Stone, a évoqué sur le blog officiel l'apparition des Promoted Tweets, première étape de la tentative de monétisation du site. Ou plutôt du service, l'interface twitter.com n'étant pas un passage obligé pour produire et suivre des tweets, elle ne représente que 25% du trafic de Twitter. Ces fameux «tweets promus», dans un premier temps réservés à quelques gros clients (Starbucks, Virgin America, Best Buy par exemple), seront affichés en haut des résultats des recherches, un seul par page, contrairement aux fameuses Google Ads.

Evan Williams à la conférence Chirp - DR

Pour avoir une idée du potentiel, sachez que chaque jour, 3 milliards de recherches sont effectuées via Twitter, a annoncé hier après-midi Evan Williams, co-fondateur de Twitter, à la conférence Chirp. «Les Promoted Tweets seront clairement affichés comme tel, mais restent à la base des tweets normaux que les abonnés d'une marque recevront normalement dans leur timeline» , explique Stone, qui précise qu'un Promoted Tweet «cessera d'être affiché s'ils ne résonne pas» . Comprendre s'il n'a aucun écho particulier et fait un gros bide (personne n'y répond, ne le retweet, etc.)

Doit-on s'attendre à une vague de saillies corporate invitant les utilisateurs du service à répondre à des questions niaises du genre «et vous, qu'avez vous pris comme café ce matin ?» dans l'espoir de gagner un milk shake gratis ? Les Twitter-addicts répondront que c'est déjà le cas avec certaines marques actives sur le site, mais les Promoted Tweets devraient à terme leur donner une importance accrue, car après la phase «on vous met de la pub uniquement dans les résultats de recherche», c'est bel et bien dans les timelines qu'arriveront, au compte goutte, les fameuses pubs en 140 caractères, même sans être abonné aux comptes des marques promues. Pas question pour autant diaboliser à outrance l'inévitable intrusion publicitaire. Une des premières entreprises sélectionnées pour tester le service, la compagnie aérienne Virgin America, semble d'ailleurs avoir une position assez rassurante sur la question : «les gens doivent vraiment avoir envie de nos promotions pour trouver un de nos [promoted] tweets» , celui-ci étant quasi introuvable en tapant des mots lambda dans l'outil de recherche. Si toutes les entreprises donnaient dans une précision similaire, Twitter pourrait bien avoir trouvé un modèle efficace. Rémunérateur, c'est moins sûr : aucune donnée sur le coût de telles opérations n'a pour l'instant filtré.

Dans tous les cas, gardons en tête que Twitter marche sur des oeufs, et prendra sans aucun doute soin de ne pas trop brusquer ses millions d'utilisateurs. Les dirigeants ont fait savoir qu'il n'y avait pas le feu au lac pour générer des revenus significatifs, et les choses devraient donc évoluer en douceur. Difficile toutefois de ne pas jouer les oiseaux de mauvaise augure en imaginant un Twitter progressivement blindé de pubs et qui finirait par proposer comme par miracle une version expurgée de toute réclame, mais payante : le fameux modèle freemium adopté par Spotify, si cool au début mais vite devenu insupportable en mode gratuit, la faute aux intrusions publicitaires répétées. Tout cela reste évidemment du domaine de l'hypothèse farfelue, et on la voit mal se réaliser à court ou moyen terme.

Pour l'instant, seule une part réduite (10% à peu près) des utilisateurs sont concernés par l'arrivée des Promoted Tweets, et l'on ne sait pas encore quand, et surtout comment, les utilisateurs français de Twitter seront ciblés. D'ici là, on pourra retrouver tous les tweeets produits depuis la création du service, promoted ou pas tant qu'ils sont publics, puisque la Library of Congress (bibliothèque nationale pour les États-Unis) a annoncé hier l'archivage de tous les tweets publics six mois après leur production, pour un usage non commercial. Vivement 2050 qu'on puisse retrouver avec émotion les codes promo pour choper du WiFi dans les vols Boston-Dallas de Virgin America.

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