UGC, un appétit décomplexé

Le géant des multiplexes attaque le cinéma d'art et essai Georges-Méliès à Montreuil pour «abus de position dominante». Tollé et pétition.
par Didier Péron
publié le 25 septembre 2007 à 9h47

Le puissant groupe UGC, deuxième exploitant de cinéma en France derrière Europalaces, est en conflit ouvert avec la salle de cinéma municipale le Georges-Méliès de Montreuil (Seine-Saint-Denis). UGC, par la voie d'un recours au tribunal administratif de Cergy-Pontoise déposé en juillet par Alain Sussfeld, directeur général du groupe, entend freiner, voire bloquer, le projet de relocalisation et d'extension de ce cinéma, à la programmation dynamique et ambitieuse.

Populaire. Actuellement fort de ses trois salles et de ses 200 000 spectateurs par an, le Méliès doit se doter de trois salles supplémentaires à l'horizon 2010. En quoi cela regarde-t-il UGC ? Le groupe estime que le cinéma, un fois transformé, dépassera sa vocation actuelle de service public ; le recours d'UGC stipule ainsi que «l'utilisation des fond publics pour pratiquer dans ces six salles des tarifs subventionnés [.] est constitutive, de la part de la commune, d'un abus de position dominante et d'une violation des règles de la concurrence».

UGC détient à quelques encablures de Montreuil, à Rosny-sous-Bois, un vaste multiplexe, l'UGC Cité-Ciné Rosny, qui est rien moins que le troisième cinéma de France, avec 2,3 millions de spectateurs par an et une programmation majoritaire de films populaires en version française. Alain Sussfeld, joint par téléphone, précise bien que le groupe UGC ne conteste pas le Méliès dans son fonctionnement ­actuel mais bien son agrandissement à six salles, qui change totalement «l'attraction et la nature du lieu».

Selon Stéphane Goudet, 37 ans, directeur du Méliès, le PDG d'UGC, Guy Verrechia, tient une position offensive tous azimuts qui vise à contester l'existence de salles subventionnées (que ce soit par les collectivités territoriales ou le CNC) accusée de fausser la libre concurrence et de tirer les tarifs vers le bas. Alain Suss­feld rétorque qu'«il n'y a aucune stratégie derrière [ses] différentes initiatives judiciaires» et voit surtout une offensive des maires de déguiser leurs ambitions électorales sous les oripeaux «d'objectifs socioculturels». «Jusqu'à preuve du contraire, le secteur du cinéma est concurrentiel, régi par les lois du marché», rappelle-t-il.

Concurrence. Trois autres procédures ont été déposées par UGC, à chaque fois sur le motif de subventions que le groupe juge abusives ou contraires aux règles de la libre concurrence. C'est le cas du Comoedia, salle du VIIe arrondissement de Lyon datant des années 20, jadis propriété d'UGC qui l'a fermée en 2003. Marc Bonny a décidé de la rouvrir et a déposé un dossier au CNC pour une aide sélective, qu'il a obtenue : 600 000 euros pour un chantier global de 3 millions d'euros. UGC a décidé illico de déposer un recours contre le CNC en contestant la validité de cette aide. La procédure est en cours mais, en attendant, Marc Bonny gère le Comoedia sans jamais obtenir de films de la filière distribution d'UGC, y compris quand il s'agit d'un film qui correspond à son type de programmation. On lui a par exemple refusé les Témoins d'André Téchiné.

UGC a aussi dépêché ses troupes contre la ville d'Epinal, soupçonnée de soutenir une salle municipale concurrente de leur multiplexe, l'UGC Cité Ciné de Ludres, pourtant situé à plus de 50 kilomètres d'Epinal ! Recours rejeté par le tribunal administratif car, selon un responsable municipal proche du dossier, «UGC s'attaquait à une convention d'aide municipale qui n'a jamais existé». Ça ne semble pas si clair puisque UGC ne lâche pas prise et vient de porter l'affaire devant le Conseil d'Etat. Enfin, Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) s'est vu autoriser par la commission départementale d'équipement cinématographique d'ouvrir un complexe de trois salles municipales, le Bijou. Or, UGC exploite les dix salles de cette ville et, là aussi, s'estime lésé. Un recours a donc été déposé en juin.

Bras de fer. Le cas du Méliès de Montreuil (et de sa mairie,­dirigée par l'ex-communiste Jean-Pierre Brard) prend valeur d'exemple dans ce bras de fer entre la logique commerciale des multiplexes et la politique culturelle des municipalités. Que le directeur de salle se décarcasse pour offrir aux spectateurs autre chose que l'usinage en masse, qu'une mairie l'aide à hauteur de 200 000 euros afin de le dégager du souci de résultats financiers pressants, on voit mal comment considérer qu'il y a là matière à se scandaliser et à parler de «position dominante». C'est comme si TF1 contestait à Arte le droit de passer des films en début de soirée sous prétexte que la chaîne est subventionnée.

Ce qui est en cause, c'est la part d'attractivité populaire des structures culturelles publiques. Si celles-ci restent cantonnées à une activité marginale vers un segment sociologique restreint, tout va bien. Ce que le recours semble vouloir sanctionner, c'est le succès. Au fil des années, aussi bien comme critique à la revue Positif qu'en qualité de directeur du cinéma, Stéphane Goudet (lire ci-dessous) s'est constitué un riche carnet d'adresses. Il peut aujourd'hui jeter un pavé dans la mare avec une pétition (1) signée par les plus prestigieux cinéastes internationaux (David Lynch, Wong Kar-wai, Arnaud Desplechin, Alejandro González Iñárritu, François Ozon.).

Que le gotha artistique mondial vole à la rescousse d'une salle située en proche banlieue parisienne est assez plaisant. Si UGC gagne, on peut considérer qu'un coup symbolique conséquent serait porté contre environ 30 % du parc des salles françaises cofinancées par des subventions municipales.

(1) Consultable sur Libération.fr.

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