Un droit d’auteur pas si malmené

Le texte en débat vise davantage à préserver le modèle économique existant qu’à protéger artistes et créateurs.
par Erwan Cario
publié le 6 mai 2009 à 16h01

C’est le sujet de crispation autour de l’évolution de la culture à l’ère du numérique : le droit d’auteur, sa protection et sa survie. Rien de plus normal, il s’agit d’un des piliers de la création, qui permet à un auteur de vivre de son labeur (c’est le droit patrimonial) et de s’assurer du respect de ses œuvres (le droit moral). Il est accompagné des droits voisins, mis en place en 1985, qui concernent les intervenants liés à une œuvre sans en être les auteurs. Par exemple les interprètes ou les producteurs. A l’heure où MP3 et DivX s’échangent à haut débit sur le réseau sans contrepartie financière, ces droits semblent menacés. Et s’opposer à la loi Création et Internet reviendrait à accepter, sinon vouloir, leur disparition. Pas si simple.

D’abord, malgré «la loi de la jungle» et le «pillage» sur Internet, le droit d’auteur résiste très bien tout seul. Par exemple, la totalité des sommes perçues par la Sacem, chargée de la répartition des droits des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, est stable en 2007 (derniers chiffres rendus publics). Par quel prodige, alors que l’industrie de la musique parle de baisse à deux chiffres des ventes? Tout simplement parce que la part de la vente directe sur l’ensemble des droits perçus par les auteurs est inférieure à 20% du total. La baisse (bien réelle, effectivement) de ce secteur est compensée par la hausse d’autres sources de revenus issus de financements mutualisés (radio, télé…) Par exemple la taxe sur la copie privée, perçue sur les ventes de supports de stockage: disques durs, CD gravables…

Ensuite, la loi Création et Internet s’intéresse de très loin au droit d’auteur lui-même. Le texte gouvernemental est surtout basé sur la préservation du modèle existant. En gros, une part de chaque vente est reversée aux auteurs, il faut donc augmenter le nombre de ventes. La logique est simple : si le téléchargement illégal diminue, les ventes vont augmenter, donc les créateurs toucheront plus d’argent. Une logique contestée par les opposants, qui ne cessent de marteler que la loi ne rapportera rien aux artistes. Car une baisse des pratiques illégales est selon eux plus qu’hypothétique et son impact sur l’augmentation des dépenses culturelles est – en période de crise, qui plus est – loin d’être évident.

Enfin, il y a la contribution créative, portée, entre autres, par les députés socialistes. Et vite rejetée par la ministre de la Culture. Cette proposition est issue du travail du chercheur Philippe Aigrain qui, fin 2008, publiait Internet et Création : comment reconnaître les échanges sur Internet en finançant la création (1) . Il s'agit d'autoriser le partage de fichiers sur Internet dans un cadre non commercial tout en mettant en place un financement mutualisé afin d'assurer la rémunération des auteurs. Le montant se situerait entre 2 et 7 euros par mois et par foyer abonné au haut débit, pour un montant global situé entre 700 millions et 1,4 milliard d'euros par an. La moitié de cette somme irait aux auteurs et aux interprètes. L'autre servirait à un fonds de soutien à la création. Le tout permettrait de couvrir pratiquement l'intégralité des droits issus de la consommation privée. Et ce pour la musique, le cinéma et même l'édition. Ce système concernerait toutes les œuvres rendues publiques au format numérique (CD, DVD, etc.) et la répartition se ferait grâce à un système de panel.

L’avantage évident de la contribution créative est donc de faire passer une partie de la consommation privée sous une forme mutualisée, à l’impact économique immédiat et moins sujette aux variations conjoncturelles. Son inconvénient : elle remet en cause un ordre très établi et nécessite que tout le monde (industriels, créateurs, opérateurs, politiques) se mette autour d’une table pour discuter.

(1) Editions In Libro Veritas, 10€

Paru dans Libération du 06/05/09

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