Un manifeste pour secouer la presse en ligne

par Isabelle Hanne
publié le 19 octobre 2012 à 16h44
(mis à jour le 20 octobre 2012 à 17h18)

A l'occasion de la 3e Journée de la presse en ligne organisée vendredi à Paris, le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (Spiil) a présenté son Manifeste pour un nouvel écosystème de la presse numérique . Des représentants de différents adhérents du Spiil (Rue89, Mediapart, DijonScope, Cafebabel...) ont dressé une liste de constats, notamment sur les inégalités de droits entre presse papier et presse en ligne. Et ont avancé dix propositions, allant de pistes très concrètes (la suppression des aides directes à la presse, la suppression de l'abattement fiscal des journalistes) à des principes un peu plus théoriques (renouveler la profession, créer un « pacte de confiance » avec les lecteurs...) « Ça va secouer! » , a prévenu le président du Spiil, Maurice Botbol.

Première proposition: supprimer les aides directes à la presse , décriées pour leur inefficacité et leur inadaptation aux mutations du secteur. «Soit elles servent de perfusion permanente pour permettre à des publications en difficulté de survivre tant bien que mal, sans avoir à réaliser les véritables efforts éditoriaux, commerciaux et industriels nécessaires pour se restructurer, lit-on dans le Manifeste. Soit elles constituent un effet d'aubaine pour grappiller des subventions, de manière opportuniste. » On leur reproche surtout d'être inégalitaires, comme l'a montré le rapport sur la Loi de Finances 2012 de l'ex-sénatrice et aujourd'hui ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq en novembre 2011, la moitié des aides directes sont captées par 2% des titres aidés. Soit sept titres: Le Monde (17 millions d'euros), Le Parisien (16,8 millions), Libération (14 millions), Le Figaro (13 millions), Ouest France (12 millions) et France Soir (6,6 millions). L'augmentation de ces aides n'a pas empêché la dégradation de la santé économique de ces titres, notamment de France Soir, disparu définitivement cet été .

Le Spiil propose donc la suppression totale de ces aides, mais, magnanime, accorde une période de transition de trois ans, « conscient des difficultés structurelles que rencontre actuellement la profession» . Présent dans la salle, le sociologue des médias Jean-Marie Charon a insisté sur le fait que cette proposition constituait un « renversement complet dans la philosophie des aides à la presse » et rappelle que celles-ci se « légitiment par la notion de garantie du pluralisme » . Une remise à plat des aides est prévue, mais le gouvernement socialiste privilégierait plutôt de réserver ces aides à la presse aux titres d'information politique et générale (IPG), au détriment, a priori, de la presse dite de loisir.

En échange, et c'est la deuxième proposition du manifeste, le Spiil propose de renforcer les aides indirectes , « plus prévisibles que les aides directes et mieux à même de recentrer l'Etat dans son rôle de stimulation d'un secteur économique, tout en limitant les effets de distorsion. » Parmi ces aides indirectes, la presse papier bénéficie de la TVA réduite (à 2,10%). C'est un cheval de bataille des éditeurs en ligne: ils militent depuis des années pour que cette TVA réduite soit étendue à la presse numérique. Selon le Manifeste, cette mesure « aurait pour effet immédiat d'encourager les éditeurs à proposer en ligne des contenus payants de qualité » .

Parmi les autres pistes évoquées, le Spiil demande d' inciter à la recherche et au développement , grâce à des mécanismes existants, comme le Crédit impôt recherche. L'absence de développement, en effet, laisse les médias largement inféodés aux géants du web: « Sans grands projets de R&D;, prévient le Syndicat, la presse numérique sera condamnée à confier à quelques géants américains, tels que Apple, Google, ou Amazon, une bonne partie de ses moyens de production de l'information, de diffusion de ses contenus et de commercialisation de sa publicité comme de ses abonnements. »

Dans le même ordre d'idée, regrettant la sous-capitalisation structurelle des entreprises de presse, le Manifeste propose la mise en place d'incitations juridiques et fiscales, pour favoriser les investissements . Par exemple, en adaptant au secteur de la presse le régime du « fonds de dotation » institué en août 2008, « afin de favoriser des initiatives d'intérêt général » , citoyennes. Dans le même temps, le Spiil propose d' impulser une stratégie numérique européenne .

Sur le thème de la défense de la neutralité des supports , la presse numérique réclame le droit de publier des annonces légales en ligne, jusqu'ici réservées à la presse papier payante par un décret de 1955. «Ce décret est obsolète, a plaidé Sabine Torres ( Dijonscope ). Nous cherchons à obtenir enfin une égalité de traitement avec la presse traditionnelle. »

Autre piste pour renouveler la profession , celle de faire émerger des start-ups de presse grâce à la création par l'Etat d'un statut de « jeune entreprise de presse », sur le modèle des « jeunes entreprises innovantes ». Ce statut offrirait cinq ans d'exonérations sociales et fiscales, avec un accueil prioritaire dans les pépinières d'entreprises.

Côté grands principes, le Manifeste veut étendre le droit à l'information : transparence, meilleur accès aux documents administratifs, protection des lanceurs d'alerte qui bénéficieraient de la protection du secret des sources . Il insiste sur la nécessité pour la France de se doter d'une loi fondamentale comparable au Freedom of Information Act aux Etats-Unis (1967). Proposition qui risque de ne pas faire l'unanimité, le Spiil veut refonder les droits sociaux des journalistes, en révisant les conventions collectives pour qu'elles soient mieux adaptées aux évolutions de la presse numérique. Surtout, en supprimant l'abattement fiscal de 7650 euros dont ils bénéficient. « Cette niche entretient auprès du public l'image de journalistes privilégiés, a plaidé Laurent Mauriac, de Rue89. Elle est du coup préjudiciable à la santé du secteur. »

Cet abattement a été prévu après guerre pour pallier les faibles rémunérations des journalistes « quand on les rapporte à leur niveau d'étude et à leur niveau de compétences » , a reconnu Maurice Botbol. « Il n'y a pas de raison qu'on soit toujours dans les contorsions: les journalistes sont mal payés, et ce n'est pas avec des artifices comme la niche fiscale qu'on doit compenser ça. Essayons de remettre les choses à l'endroit, et payons mieux les journalistes. »

Le Manifeste s'achève sur une note moins prosaïque: il faut établir la confiance avec les lecteurs . « Nous devons faire en sorte que le lecteur sache où il met les pieds, explique une responsable de YouPhil. Le plus important, c'est la transparence: il faut mettre les noms des actionnaires dans les mentions légales, montrer l'indépendance et la séparation entre marketing et rédactionnel. La confiance, c'est notre fond de commerce .»

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