Un pépin et Orange déconfit

par Jean-Christophe Féraud
publié le 9 juillet 2012 à 12h40

Mise à jour à 12h:

La ministre déléguée à l'Economie numérique, Fleur Pellerin, recevra «mercredi, jeudi ou vendredi» Stéphane Richard, PDG de France Télécom, qui lui remettra son rapport sur les causes de la panne qui a touché vendredi le réseau mobile Orange. Les autres opérateurs (SFR, Bouygues Télécom et Free Mobile) suivront «en fin de semaine ou la semaine prochaine» , afin de présenter leur procédure prévues en cas de crise similaire.

Quant au décret qui doit permettre au gouvernement de réaliser des audits de sécurité sur les réseaux des opérateurs, annoncé ce week-end par la ministre, un projet de texte a déjà été présenté à l'Autorité de régulation des télécoms, l'Arcep, qui a émis un avis favorable, a précisé le ministère.

Geste commercial

Excuses à la japonaise pour une panne historique. Au lendemain du mégabug qui a paralysé le réseau mobile d’Orange dans toute la France vendredi, laissant quasiment sans voix, SMS et Internet 27 millions d’abonnés pendant plus de douze heures, le PDG de France Télécom, Stéphane Richard, a promis de faire toute la lumière sur cet accident industriel. Et annoncé que tous les clients d’Orange -- mais aussi ceux de Free et des opérateurs virtuels (MVNO) hébergés sur le réseau de l’opérateur historique -- bénéficieraient d’une journée de forfait gratuite à la rentrée en guise de réparation.

Un dédommagement équivalent à 1 euro pour un abonné payant 29,90 euros par mois pour deux heures. Et à 2,30 euros pour un abonnement iPhone en illimité à 69,90 euros… L’opérateur offrira en sus une place de cinéma et 1 gigaoctet d’Internet mobile.

Ce geste commercial se chiffrera en dizaines de millions d’euros de manque à gagner pour Orange. Mais il est loin de satisfaire les associations de consommateurs. Car cette mégapanne, qui a duré de 15h vendredi à 3h20 samedi, a touché le premier réseau mobile français, supposé plus fiable que celui de ses concurrents. Qui plus est un jour de grands départs et de résultats du bac. Retour sur ce vendredi noir pour la maison Orange.

Une panne logicielle qui révèle des réseaux fragiles

En l'absence d'explications claires de France Télécom sur cet «incident important», Internet bruissait de rumeurs vendredi. On a d'abord évoqué les orages. Puis la possibilité d'un sabotage de hackers : étrange coïncidence, l'ex-PDG du groupe Didier Lombard et ses lieutenants venaient d'être mis en examen dans l'enquête sur la vague de suicides de 2008-2009. Piste a priori écartée par les spécialistes. Sur Twitter, les geeks évoquaient plutôt l'effondrement d'un réseau saturé par l'explosion du volume de vidéos échangées par les adeptes de l'Internet mobile. Mais samedi, lors de sa conférence de presse, Stéphane Richard a balayé cette hypothèse : «Nous sommes le plus gros investisseur en France dans les réseaux de télécommunications» avec «plus de 600 millions d'euros par an» .

Alors que s'est-il passé ? «Un dysfonctionnement logiciel» dans les équipements «de cœur de réseau» gérant «la signalisation des appels» . En clair, les abonnés ne savaient pas qu'on les appelait et leurs propres appels n'aboutissaient pas. Selon Philippe Chicaud, directeur technique d'Orange France, le problème a entraîné «un effet boule de neige» qui a «provoqué la saturation» de certains équipements de réseau. Imaginez une vingtaine de millions de personnes cherchant à joindre un correspondant ou à se connecter à Internet en même temps… Résultat de ce gigantesque bouchon : après l'extinction de voix, plus de SMS ni d'Internet mobile.

Une sérieuse alerte pour l’économie

Vingt-sept millions de Français privés de mobile pendant quelques heures, et c'est la panique. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose ? Peut-être si les seuls particuliers étaient concernés. Mais Orange Business Services, la filiale pro de l'opérateur, compte 2,7 millions de clients artisans, PME et entreprises. Autant de gens qui n'ont pu travailler normalement et qui risquent de demander des comptes : «Cela tombe mal pour eux, nous sommes en pleine renégociation de notre contrat pour 2012», témoigne ce cadre d'une grande entreprise. Plus grave, de nombreux services vitaux comme l'eau, les transports et la santé dépendent du mobile. Exemples : les châteaux d'eau dont le niveau est transmis par SMS à la pompe chargée de les remplir ; la SNCF et les compagnies aériennes qui ne peuvent plus informer leurs usagers d'un retard ; les taxis, pompiers volontaires ou SOS Médecins qui ne sont joints que sur leur mobile… Pour France Télécom, cette panne est une sérieuse alerte dont le coût n'est pas encore chiffré.

Un audit en attendant le prochain crash

«Malheureusement, le risque zéro n'existe pas» : l'explication de Stéphane Richard a paru un peu courte au gouvernement, vu la dépendance au mobile de notre société. Hier, dans le JDD, la ministre de l'Economie numérique, Fleur Pellerin, a annoncé «un audit sur la sécurité des réseaux télécoms, éventuellement aux frais de l'opérateur» . Selon elle, ce type d'incidents «ne doit plus se reproduire, car le potentiel de déstabilisation pour l'économie et les Français est considérable» . Mais on ne peut jamais dire jamais. Et malgré les démentis, le prochain crash pourrait bien être dû au sous-dimensionnement des réseaux télécoms. Selon Cisco, le volume de données mobiles pourrait être multiplié par 25 d'ici à 2015. Or les opérateurs n'ont pas prévu d'augmenter leurs investissements au même rythme. La solution pourrait être la 4G, nouvelle norme annoncée pour 2013 et dont le débit (jusqu'à 100 Mbit/s) promet d'être 14 fois plus rapide que l'actuelle 3G.

(Publié dans Libération du lundi 9 juillet)

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