Un petit dernier pour la route

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 7 mai 2012 à 15h14

Vous savez quoi ? Quand on l’a vu, mercredi soir, tout seul dans son petit costume, recroquevillé sous les coups de boutoir telle l’huître subissant l’assaut de la goutte de citron létale, eh bien, on a été un petit peu ému. Un petit peu seulement, hein, et c’était très fugace, mais quand même : et si, derrière le hâbleur nationaliste, l’autocrate ultralibéral, l’épicier en chef de l’UMP, battait autre chose qu’une luxueuse mécanique horlogère de précision suisse ? Naaaan, on déconne…

Pourtant, il nous faut, à Libération , nous livrer à une introspection (on allait dire une autocritique, et pis quoi, encore ?) afin de voir ce que nous avons, au cours de son quinquennat, infligé à l'encore, au moment où ces lignes s'impriment, président de la République. Mettons de côté les articles du reste de la rédaction, ramassis de gauchistes mal peignés, pour ne prendre que les papiers objectifs : ceux du Dr Garriberts (ben quoi ?). Alors voilà : sur quelque 1200 articles signés de votre médecin préféré et publiés entre le 7 mai 2007 et ce week-end, 442 -- enfin, 443 désormais -- incluent le nom de Nicolas Sarkozy. Un tiers, c'est beaucoup. Surtout quand on sait que, sur la même période, on ne compte que 152 papiers citant Patrick de Carolis et 40 seulement mentionnant Dédé. Mais quoi, dans ces 442 articles ? Quel portrait du quinquennat médiatique finissant de Nicolas Sarkozy ? Rétrospective en forme d'au revoir, au revoir, Président.

«Dans la culotte des médias»

Il faut dire, sans risquer de se faire traiter de petits calomniateurs, que Nicolas Sarkozy s'est considérablement mêlé de médias, et singulièrement de télé. En résumé, il l'a cherché, tout ce que le Dr Garriberts a pu écrire de lui. «Pressions» arrive ainsi largement en tête des compliments qualifiant son action sur les médias avec 45 occurrences, tout juste suivi de «censure» (41 articles). Joli score. Sur le même thème, on compte son petit lot de «connivence» , «relations incestueuses avec les médias» , «mainmise sur les médias» voire «main de Nicolas Sarkozy dans la culotte des médias» (2, tout de même, sans vouloir nous vanter). Forcément, car ça va ensemble, on dénombre 8 «parrain» (Martin Bouygues et son filleul Louis Sarkozy), 26 «potes» (dont Bernard Arnault, patron des Echos, et Vincent Bolloré qualifié de «yachtman» , mais ils sont légion dans les médias -- les amis, pas les yachtmen) et 41 «frère» désignant à chaque fois celui qui se réclame de ce lien de parenté avec Nicolas Sarkozy : Arnaud Lagardère.

«Basses œuvres»

Que nous restera-t-il de Nicolas Sarkozy dimanche soir sitôt sonnés les 20 coups de 20 heures sinon la suppression de la pub sur France Télévisions après ces mêmes fatidiques 20 coups ? Rien, on est d'accord. L'affaire, depuis janvier 2008 qu'il l'a annoncée, nous a beaucoup occupé et nous a amené, c'est déplorable, à quelques écarts de langage. Ainsi avons-nous pu décrire la décision comme «un oukase» , «des basses œuvres» , «un coup fourré» ou «des cadeaux somptuaires» (aux chaînes privées récupérant la pub publique). Et la nomination des présidents de l'audiovisuel public par Sarkozy himself , rholala… «Ingérence» , nous époumonâmes-nous. «OPA sur les médias» , nous récriâmes-nous. «Putsch médiatique» , nous égosillâmes-nous.

«Marlou»

Si nous n'avons pas, contrairement à ce marxiste-léniniste de François Hollande, traité Nicolas Sarkozy de «Hitler pétanisto-nazi» (ce qui n'est pas si facile avec un couteau entre les dents, essayez chez vous les enfants, vous verrez), c'était tout juste. Nous n'en sommes pas fiers, mais oui, nous avons pratiqué l'attaque ad hominem à l'endroit du président de la République. Passons sur «hyperprésident» et «omniprésident» , tellement galvaudés, pour s'attarder sur nos méfaits : «ses gestes de marlou, d'affranchi des faubourgs», «son langage de comptoir», «boulet», «schpountz» et, assez mystérieusement, «Moby Dick» et «mirlichouille» . Nous avons pris, hélas, notre part aux moqueries sur le thème du bling-bling, terme dont nous eûmes, modeste gloriole, la primeur en même temps que Marianne le 19 mai 2007. Et nous ne nous sommes pas non plus privés de railler sa «bile» , ses «menteries» , ses «vilenies» de même que sa tendance à la sudation en décrivant son «index séchant une goutte de sueur» . En revanche, nous méritons une médaille : jamais aucune attaque sur le physique. Enfin, une seule quand nous nous sommes abaissés à imaginer que le film préféré de Nicolas Sarkozy n'était autre que l'Homme qui murmurait à l'oreille des poneys .

«Les Français, y z’aiment pas»

Faut dire qu'à l'heure du bilan, on s'est bien gondolé avec Nicolas Sarkozy. Enfin pas avec, de, plutôt. En petits Laurent Gerra de la rue Béranger, nous nous sommes gaussés de son élocution créative et de sa grammaire exotique : «Les Français, y sont comme moi, Arte, y z'aiment pas. Et pourquoi je le dirais pas ?» Sous nos vingt doigts, il a été le héros de plusieurs contes de Noël que ne renierait pas Dickens (pas Charles, hein, mais Kevin, son arrière-petit-fils hydrocéphale). Contes au cours desquels nous l'avons imaginé passant le réveillon au parc Astérix (que c'est méchant), regardant un spectacle de Dany Boon (que c'est laid) ou étant doté, en guise de sonnerie de téléphone, de Je vais à Rio de Claude François (que c'est con). Et quand l'humour n'y suffisait plus, nous avons versé dans l'odieux. Nous réjouissant qu'il ait, en banlieue, «essuyé un vivifiant crachin de caillasses» . L'accusant de tous les maux, y compris ceux du ciel : «Depuis que Nicolas Sarkozy est à l'Elysée, la météo est pourrie.» Nous glissant dans sa peau pour traiter son rejeton Jean de «fils d'idiot» . Souhaitant même, outrage des outrages, la défaite d'Amaury Vassili à l'Eurovision 2011 afin que Sarkozy ne se serve pas de l'organisation du concours en France en 2012 comme un tremplin pour sa réélection.

Alors, forcément, à quelques heures de se quitter définitivement, on a comme un pincement à la plume. Tant de vulgarité en sautoir, tant de tapage et de bruit, d’ignorance arborée : perdre Nicolas Sarkozy, c’est comme éteindre la télé.

Paru dans Libération du 5 mai 2012

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