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Bourre-Paf

Un pitoya-ableu nouveau «Dallas»

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 28 juin 2013 à 19h06

Se figure-t-on Alexandre Jardin s'atteler à l'écriture d'une suite d'A la recherche du temps perdu ? Non, bien sûr, le cerveau humain a ses limites. Imagine-t-on Dany Boon camper Danny Torrance, le fils de Jack, dans Ch'tining, soit un Shining trente ans après, transposé à Tourcoing ? Impossible, les plus hautes autorités éthiques s'y opposeraient. Ça y est, vous commencez à mesurer l'expérience raélo-frankensteinienne à laquelle TF1 nous convie chaque samedi à 20 h 50 depuis la semaine dernière : le retour de Dallas. Attention, il ne s'agit pas d'un geste de désespoir de Nonce Paolini consistant à rediffuser la série originale démarrée en 1981 sur la Une (et trois ans avant sur CBS). Non, c'est bel et bien un Dallas next gen produit par la chaîne américaine TNT et avec un gentil succès encore, au point qu'une deuxième saison a déjà été diffusée aux Etats-Unis, et qu'une troisième est dans les pipelines. Et TF1 a mis les petits stetsons dans les grands, gratifiant la nouvelle série d'une version à peine ripolinée du générique hexagonal de 1981 (mais le public, cet ingrat, n'a pas su apprécier : 3,6 millions de téléspectateurs seulement). Un générique qui n'a jamais existé ailleurs qu'en France où, c'est bien connu, si on n'a pas de pétrole, on a une chanson de Dallas.

Dallas, te raccroches-tu toujours à ton passé-ééé ?

Tous. Ils sont tous là. C'est l'indéniable atout de cette suite de Dallas, qui a réussi l'exploit gérontologique de réunir le casting d'origine. Enfin, sauf Ellie et Jock qui bouffent les derricks par la racine (et, dans le cas de la matriarche Ewing, ses deux interprètes successives, Barbara Bel Geddes et Donna Reed, itou). Belle revanche sur la vie, c'est cette ex-sac à bourbon de Sue Ellen qui, physiquement, s'en sort le mieux. Les autres, en revanche, ont pris cher, super cher. L'ancienne naine nymphomane et nièce des frères Ewing Lucy ressemble aujourd'hui à la mémé de Dolly Parton. Ray Krebbs n'est plus qu'un vieux crabbs, enfin un vieux crabe. Cliff Barnes, l'ennemi juré des Ewing, s'est fossilisé de son vivant. Bobby, lui, revient à ses premières amours aquatiques, ressemblant à s'y méprendre au mérou de l'Homme de l'Atlantide. JR, évidemment, a fait mieux que tout le monde : le héros (du moins Larry Hagman, son interprète) est mort au cours du tournage de la deuxième saison. Balèze.

Dallas, es-tu toujours la patrie du dollar, du pétro-oleu ?

Pour autant, gaffe, ce Dallas-là n'est pas qu'une collection de vieux jetons de présence au conseil d'administration de l'Ewing Oil, mais bien la nouvelle génération. Soit John Ross, le fils de JR et Sue Ellen, aussi teigne que son daron, et Christopher, rejeton adoptif de Bobby, aussi neuneu que son reup. La preuve : quand le premier, retors comme son paternel, fore dans le ranch de Southfork (malgré l'interdiction formelle d'Ellie), le second fait dans les énergies alternatives. Il cherche du méthane, ce con. Au fond de la mer, au large de la Chine, déclenchant un tremblement de terre, ce boulet. Comme dans la série originale (et dans son prequel featuring Abel et Caïn Ewing), il s'agira, ici, d'une éternelle baston entre les deux rejetons Ewing. Et de l'un à l'autre, ça envoie de la punchline de feu : «Tu t'es trompé de bar, cousin, lance John Ross à Christopher. On ne sert pas de saké, ici.» Saké, la Chine, tout ça. Riposte pas très graduée de l'autre : «Tu ferais mieux de te laisser pousser des yeux derrière la tête, cousin.»

Dallas, ne redoutes-tu toujours que la mo-ooort ?

Mais ne faisons point ici semblant de nous intéresser aux chamailleries à la mords-moi-le-geyser de ces deux freluquets. La grande affaire de ce Dallas moderne, comme ce fut celle de l'ancien, c'est JR. Un JR sucrant méchamment les fraises, jusqu'à ce qu'une phrase de John Ross le sorte de sa catatonie : «Bobby veut vendre Southfork.» Et là, c'est comme Clark Kent revêtant sa tenue de Superman. «Bobby a toujours été un crétin», grince le vieillard, achevant sa métamorphose en coiffant son stetson : SuperMéchant est de retour. En déambulateur certes (si, si, juré), mais de retour. C'est ainsi qu'en moins de trois épisodes, JR double son frère Bobby et son propre fils, John Ross, fait chanter l'avocat de Bobby, s'acoquine avec une pépée pour le moins louche afin de racheter Southfork. Et régale l'assistance de ses reparties assassines. «Le pétrole est plus épais que le sang» ou «pendant que tu croupiras dans ton trou, je danserai sur ta tombe» rejoignent ainsi direct le panthéon JResque où culmine l'indépassable «on ne s'énerve pas, on se venge».

Dallas, est-ce toujours malheur à celui qui n’a pas compriiis ?

Si cette résurrection se pique de second degré, voire de crypto-lesbianisme (et Sue Ellen invitant sa bru au gala des éleveurs de bétail d'un salace «tu seras ma cavalière», c'est du mou de bison, peut-être ?), si la modernité a frappé au portail de Southfork (il y a Internet !), si la crise est passée par là (Bobby s'excusant de virer les ouvriers venus forer impunément dans le ranch : «Croyez-moi, je suis désolé pour vos emplois»), Dallas reste ce même baril d'intrigues totalement imbitables. John Ross, par exemple, est à la colle avec Elena. Qui n'est autre que l'ex de Christopher. Ex, car Christopher l'a plaquée par mail (so 2013). Sauf que le mail ne venait pas de Christopher, ni de JR comme on pouvait légitimement le soupçonner («les vieillards comme moi n'écrivent pas de mails», plaide-t-il), mais de Rebecca, la femme de Christopher. Celle-là même à qui Ann Ewing (la nouvelle femme de Bobby) venait pourtant de tendrement offrir rien moins que le «livre de recettes de la famille Ewing». Petite grue, va. Ne nous étonnerait qu'à moitié qu'elle soit en cheville avec la Marta Del Sol. Mais si, la fille du célèbre magnat de l'environnement à qui Bobby croit vendre le ranch familial alors qu'elle est une fausse Marta Del Sol, de mèche avec John Ross. Et jouant double et même triple jeu puisque complice, bien sûr, de JR, via des affidés vénézuéliens. Qui font ainsi allégeance au grand homme : «Monsieur JR, vous êtes une légende au Venezuela.» Et pas que.

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