Interview

«Un récit typiquement américain, mais avec un gay»

Gus Van Sant et Dustin Lance Black. réalisateur et scénariste :
par Eric Loret
publié le 4 mars 2009 à 6h51

Quelques semaines avant la sortie du film en France, Gus Van Sant et Dustin Lance Black, le scénariste, ont donné quelques interviews à Paris. Une occasion de mesurer que les deux hommes n’ont pas tout à fait la même vision, ni de l’époque, ni du personnage d’Harvey Milk, ni du film.

Harvey Milk est-il un film politique ?

Dustin Lance Black : Dans la mesure où c'est l'histoire d'un politicien, c'est inévitable. D'autant que nous avons choisi de couvrir la période qui va de son entrée en politique jusqu'à son assassinat.

Quel est le message du film ?

D.L.B. : Le même que celui de Harvey. Il a favorisé la coopération entre les différentes minorités pour obtenir plus de pouvoir politique, et il a trouvé des renforts plutôt inattendus pour s'allier aux gays : les retraités, les syndicats et les communautés chinoise et noire, très importantes à San Francisco.

Gus Van Sant : L'histoire de Harvey est entièrement vue à travers ses actions politiques. J'ai essayé de faire écrire à Lance des scènes non politiques mais il ne voulait jamais, parce qu'il se serait senti coupable.

D.L.B. : Pourquoi tu dis ça ?

G.V.S. : Il se serait senti coupable parce que la justification de son récit était politique.

D.L.B. : Il fallait que je choisisse un angle, donc j'ai choisi celui-ci en espérant que la politique gay mènerait toujours à quelque chose de personnel, parce que ce ne sont pas les lois du commerce qui sont en jeu, mais celles de la chambre à coucher. Il s'agit de légiférer sur la vie amoureuse, sur le droit d'être aimé…

Lance, vous avez déclaré que l’histoire de Harvey vous avait sauvé la vie. Espérez-vous que le film aura le même effet pour certaines personnes ?

D.L.B. : Je suis originaire d'une région conservatrice, le Texas, et qui plus est d'une famille militaire et mormone. Personne ne fait son coming-out là-bas, c'est impensable. Pour beaucoup de gays, la solution, c'est de s'ôter la vie. Evidemment, je ne peux pas dire ce que j'aurais fait si je n'avais pas entendu l'histoire de Harvey, mais je n'étais, de toute évidence, pas au bon endroit. Quand j'ai appris qu'il y avait des gays heureux, vivant ouvertement leur sexualité en s'investissant dans la vie de la cité, ça a été une révélation. Aujourd'hui, les gens savent ce qu'est un coming-out, on voit ça tous les jours à la télé, mais si le film peut apprendre aux jeunes générations qu'il y a une histoire des droits et des mouvements gays, peut-être qu'il ne sauvera pas des vies, mais il en transformera sans doute quelques-unes.

Comment définiriez-vous la structure du scénario ?

D.L.B. : Plutôt classique. J'ai grandi avec tous ces biopics sur les héros américains, surtout à la télé texane : Davy Crockett, Abraham Lincoln. Et je me disais qu'il faudrait raconter le parcours d'un héros de cette façon classique, typiquement américaine ; mais pour une fois, avec un gay.

Gus, quels ont été vos choix cinématographiques pour transposer le scénario en images ?

G.V.S. : Je voulais tourner en 16 mm pour pouvoir monter toutes les images avec des films d'archives. Mais Universal nous en a dissuadés, parce que ce n'était pas assez «luxueux». On a réalisé qu'on pouvait tourner en 35 mm en utilisant les techniques du documentaire et que ça fonctionnait, qu'on avait cette tonalité ordinaire qu'on voulait. On est partis sur des compositions assez statiques, pas très spectaculaires… Sinon, on a suivi le scénario d'assez près.

Il y a pourtant quelques clins d’œil dans le film, comme une citation de A Bigger Splash…

G.V.S. : Le tableau de Hockney ?

Non, le film de Hazan…

G.V.S. : Je ne crois pas. On a juste trouvé ce plan le jour du tournage. Et d'ailleurs, il n'y a pas trente-six façons de filmer une piscine, non ?

Et Jeff Koons, dans le rôle de Art Agnos ?

G.V.S. : Je l'avais vu au Today Show, je trouvais qu'il ferait un supervendeur, ou n'importe quoi d'autre, d'ailleurs. On lui a demandé, il a accepté.

On a aussi l’impression que pour certaines scènes intimes, vous citez Mala Noche…

G.V.S. : Non, plutôt Pink Narcissus, quand les deux amants se regardent de très près dans les yeux… Je crois même que j'ai montré ce plan à James Bidgood… En fait, il y a un plan qui ressemble à Mala Noche, mais c'était inconscient. C'était juste la seule manière possible de montrer ce que j'avais à montrer, une scène de sexe en restant dans l'intimité plutôt que l'objectivité. Ceci dit, je suppose que tout est filtré par ce que j'ai déjà fait…

Quel est votre rapport à l’archive ?

D.L.B. :Je ne voulais faire que des entretiens de première main, aller voir tout le monde plutôt que de travailler sur des documents, comme quand j'ai consulté les archives du San Francisco Chronicle, parce que les informations sont toujours filtrées par le point de vue des journalistes. J'ai eu la chance de rencontrer d'abord Cleve Jones, en 2004, qui m'a présenté à Danny Nicoletta, à Anne Kronenberg, à Michael Wong, le conseiller de Harvey qui avait tenu un journal détaillé de leurs actions. J'ai essayé d'être un journaliste du passé, ce qui a été parfois difficile, car les souvenirs des gens commençaient, pour eux, à se confondre avec le souvenir de ce qui avait été dit de leur histoire, dans la presse, etc.

G.V.S. : J'étais là, durant les années 70, entre Portland, New York et L.A., mais je crois que les documents d'époque sont très informatifs, très étonnants, aussi. Je pense à un vrai plan que j'ai vu : Rob Epstein tendant un micro à Harvey. Il a sa chemise à fleurs, ouverte jusque-là, les cheveux frisés et tout. Ce genre de détails, on ne peut pas se les rappeler. Même si c'est toi qui portais la chemise, tu ne t'en souviens pas tant que tu n'as pas revu l'image. Par exemple, ces vestes tyroliennes que tout le monde portait au lycée en 1971. Enfin, pas tout le monde. J'ai vu ça sur une photo, avec un col vert et des boutons dorés. [A Lance] Tu n'as pas connu ça ?

D.L.B. : Si, ma mère en a une.

Lance, avez-vous une nostalgie de cette époque que vous n’avez pas connue ?

D.L.B. : Oui, c'est comme un pays imaginaire, pour moi. J'ai fait mon coming-out dans les années 90, dans l'ère post-sida. Sexuellement, on n'était pas aussi ouvertement libéré.

G.V.S. : Dans les années 90 ?

D.L.B. : Oui, c'était plutôt déprimant. Il y avait le grunge, pas le glam-rock. C'était pas les Cockettes, mais, euh…

G.V.S. : Kurt Cobain ?

D.L.B. : Oui, Kurt Cobain. J'aimais bien tout ça à l'époque. Mais les années 70, ça me semble très beau, toutes ces communautés qui s'affirment, s'expriment…

Gus, vous n’avez pas l’air d’accord sur la déprime des années 90…

G.V.S. : Ça dépend où l'on était. Tu étais à L.A., toi, non ? Pourtant West Hollywood n'était pas très grunge.

D.L.B. : Mais c'était minuscule ! Ça s'est agrandi depuis, il y a des endroits gigantesques pour sortir, comme l'Abbey…

G.V.S. :Qui n'était pas là à l'époque…

D.L.B. : C'était un petit café où tu allais faire tes devoirs, mais si, après, tu draguais au parking, tu te faisais emmerder, jeter des bouteilles dessus et traiter de pédé…

G.V.S. : Quel parking ?

D.L.B. :Celui derrière l'Abbey, justement. Bon, ceci dit, concernant les années 70, c'est juste mon idée d'un truc que je n'ai pas expérimenté, mais en écoutant les témoignages, en regardant les photos, on a vraiment le sentiment d'une libération sexuelle et d'une libération gay… Et puis c'était avant le sida.

Alors c’est un film sur le paradis perdu ?

D.L.B. : C'est sûr que je suis fasciné par cette période et que le projet initial était de la retrouver. C'est pour ça que j'ai voulu que tout soit exact et qu'il y ait des témoins de l'époque sur le tournage.

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