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Analyse

Un sale goût d’ORTF

Désormais, c’est Nicolas Sarkozy qui nommera le patron de France Télévisions. Une marche arrière phénoménale dans l’audiovisuel public français.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 5 décembre 2008 à 6h51
(mis à jour le 5 décembre 2008 à 6h51)

Hier, l'air de rien, l'audiovisuel public français a grimpé dans une machine à remonter le temps et la démocratie, et s'est réveillé avec la gueule de bois au temps de l'ORTF. Voilà, c'est fait, par 42 voix pour, et 21 contre, soit, au total, 63 députés seulement : une des plus grosses énormités de la loi sur l'audiovisuel a été votée hier à l'Assemblée. Sauf décision contraire du Conseil constitutionnel qui pourrait bien voir une régression des libertés publiques, le patron de France Télévisions sera désormais nommé directement par le président de la République. Alors donc, les enfants, nous sommes en, disons, 1968, c'est le bon temps, et le directeur de l'ORTF est nommé par décret. Sur le plateau du journal télévisé de Léon Zitrone, Alain Peyrefitte, ministre de l'Information, vient présenter la nouvelle formule du JT. Soudain Zitrone s'inquiète : «Est-ce que cela ne va pas être interprété comme la mainmise du gouvernement sur le journal télévisé ?»Et Peyrefitte de répondre que… «Non.» Hier, quarante ans plus tard, à l'Assemblée nationale, les députés de la majorité ont dit «Non» aussi face aux inquiétudes de l'opposition, face au retour de la nomination par le président de la République.

«Liberticide». L'examen du fameux article 8 avait commencé hier matin dans le brouhaha et les invectives caractéristiques de l'examen du projet de loi qui dure depuis plus d'une semaine. Michel Boyon, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) se faisant, au passage, tailler un costume à rayures de «valet» par l'opposition pour son appui à la loi alors qu'en tant que président d'une autorité indépendante, il est tenu à la neutralité. Mais, c'est l'après-midi que ça s'est réellement gâté quand l'UMP Michel Herbillon a dégainé, dans le règlement de l'Assemblée, l'article 57 pour clore les débats et passer aux amendements. Traduction : pour faire accélérer la manœuvre. «C'est une honte !» s'est époumoné Noël Mamère (Verts). Et tandis que les «liberticide !» et les «désolant» ou les «faits du prince» volaient du côté de la gauche, la majorité n'était pas si à l'aise que ça, pas même le rapporteur de la loi Jean-François Copé, puisque ce mode de nomination ne figurait pas dans son rapport sur la télé publique remis au mois de juin à Nicolas Sarkozy. C'est l'hyperprésident soi-même qui en a eu l'idée s'attirant des critiques jusque dans sa majorité.

Amitiés. Il faut dire que le symbole est de taille : c'est la loi Fillioud de 1982 qui avait mis fin à la nomination directe des patrons de la télé publique en créant l'ancêtre du CSA, la Haute autorité, pour séparer les pouvoirs. Certes, l'instance a, depuis, été maintes fois critiquable et critiquée et d'ailleurs, aujourd'hui, le CSA est entièrement à droite. Mais était-il utile pour autant de jeter le bébé avec l'eau du CSA, et de revenir en arrière, plutôt que penser à le réformer ?

Surtout que Sarkozy n'est, bien sûr, pas blanc-bleu en matière de pression sur les médias : nomination d'un de ses proches, Laurent Solly à la tête de TF1, menaces contre France 3, quand, pendant la campagne présidentielle, il s'était estimé mal reçu, ou encore pression sur le JDD pour qu'un article dévoilant que son ex-femme Cécilia n'avait pas voté au second tour soit trappé… Et c'est compter sans ses multiples amitiés chez les patrons des médias français, de Bolloré à Bouygues en passant par Arnault et Lagardère, son «frère». Que fera-t-il maintenant qu'il aura le pouvoir absolu à France Télévisions ? Car, outre le pouvoir de nomination décroché par cet article 8, il va aussi se voir doter, par l'article 9 cette fois, du pouvoir de révocation. Quand on se souvient de la façon dont il étrilla en public Patrice Duhamel, n°2 de France Télévisions, pour avoir osé débaucher Julien Courbet chez TF1, on mesure mieux la bombe atomique dont il est désormais équipé. Le mandat de Patrick de Carolis court jusqu'en 2010. Désormais, il peut sauter à tout moment, selon le bon vouloir de Nicolas Sarkozy.

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