«Ce scandale représente 6 millions d’ordinateurs neufs par an»

par Astrid GIRARDEAU
publié le 19 novembre 2007 à 18h55
(mis à jour le 3 décembre 2008 à 10h59)

Est-on obligé d'acquérir Windows quand on achète un PC ? La loi dit non. Pourtant, il est difficile d'y échapper. Depuis des années, la question de la vente liée des ordinateurs et de logiciels préinstallés reste sans réponse.

Récemment, le député PS Philippe Tourtelier a attiré l'attention de Luc Chatel, le secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme, sur le sujet (1). Selon lui le problème est double : «le consommateur ne peut pas, à l'achat, renoncer à ces logiciel que les revendeurs refusent de désinstaller ou de déduire» , et «leur prix n'est même pas affiché, de sorte que le consommateur ne sait pas combien il a payé pour les logiciels qu'il est tenu d'acheter.» «A l'approche de la période de forte consommation que sont les fêtes de fin d'année» , il a demandé au secrétaire d'Etat de lui «indiquer les mesures qu'il compte prendre pour faire cesser ces abus.»

Nous avons contacté le groupe de travail Détaxe de l' Association Francophone des Utilisateurs de Linux et des Logiciels Libres (AFUL) , qui, en juin 2006, lançait la pétition Racketiciel . Alain Coulais et l'équipe Racketiciel ont répondu à nos questions.

Pourquoi avoir lancé la pétition Racketiciel?

_ À force de creuser le dossier, d'éplucher le code de la consommation, et après avoir pris contact avec les intervenants (constructeurs et vendeurs, Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), associations de consommateurs), nous avons fini par comprendre plusieurs points. Malgré la simplicité du problème, et vues l'hostilité des constructeurs ou des vendeurs et l'indifférence des pouvoirs publics, nous en étions réduits à devoir aller en justice et œuvrer pour faire connaître ce problème. La question devait sortir d'un cadre limité d'utilisateurs avertis pour être comprise du plus grand nombre. De plus, la DGCCRF fonctionne sur des critères apparemment quantitatifs et ne fait rien tant qu'une masse critique n'est pas rendue visible pour justifier son intervention. D'où l'idée de lancer la pétition pour donner une forte visibilité.

La pétition est un bon moyen de se compter, et 25000 signatures ne peuvent pas ne pas être prises en compte. Il y a deux ans, des avocats de la partie adverse ont dit que nous n'étions qu'une poignée...

Entre la pétition et des procès gagnés (2), est-ce que la question a évolué ?

_ Oui et non. Comme le montre la revue de presse de la pétition, le problème a eu une visibilité considérable dans l'année écoulée. L'UFC a sauté le pas et a engagé une procédure pour s'attaquer à ce scandale qui représente 6 millions d'ordinateurs neufs par an uniquement en France. Grâce à l' initiative candidats.fr , les candidats à la présidentielle ont eu à se positionner sur ce problème des ventes liées. Le nouveau président, tout en reprenant la rhétorique habituelle de l'intérêt pour le consommateur de base, a dû reconnaître la nécessité d'aménager la situation pour tenir compte des autres clients. Et le dernier procès jugé et gagné cet automne a eu un écho qu'il n'aurait sans doute pas eu sans la pétition.

Sans qu'on puisse faire de lien direct avec la pétition, plutôt avec la diffusion des Logiciels Libres, les entreprises s'interrogent. Une mutuelle a estimé qu'elle payait quatre licences de système d'exploitation Microsoft par unité centrale. Donc, clairement les mentalités ont beaucoup évolué ces derniers mois.

Cependant, l'Europe, qui pourrait elle aussi agir par sa commission Concurrence, n'a toujours rien compris . Plutôt que de condamner Microsoft à une amende, elle aurait dû exiger la fin des ventes liées et des clauses de non transferabilité. Concrètement l'optionnalité reste impossible chez tous les grands constructeurs. L'optionnalité, c'est la possibilité de pouvoir acheter n'importe quel ordinateur personnel neuf avec ou sans système, avec la graduation légitime des prix, ou bien, réciproquement, d'acheter le système seul sans le matériel.

Évidemment, même si nous saluons l'apparition de rares offres préinstallées avec des systèmes alternatifs chez DELL et Asus, nous considérons que ceci ne règle en rien le problème de l'optionnalité.

Vous heurtez-vous à la pression des constructeurs et des distributeurs ?

_ Oui. La quantité d'arguments mensongers dont ils abreuvent la presse, mais aussi les clients, est impressionnante. Il est clair que l'essentiel de la presse informatique grand public est trop dépendante pour aller trop clairement à l'encontre des intérêts de ses annonceurs. De plus, l'information en magasin est toujours aussi inexistante : prix, nature OEM (3) de la licence, tatouage, clauses exactes de la licence (est-elle transférable, revendable ?), etc.. Même quand on interroge certains vendeurs sur la possibilité de se faire rembourser, ils ne signalent pas la procédure de refus du Contrat de licence qui apparaît au démarrage de l'ordinateur. Le consommateur qui ne lit pas a aussi sa part de responsabilité.

La résistance des constructeurs porte aujourd'hui sur la possibilité de rejeter, après achat, les licences logicielles avec menace de perte de la garantie sur la partie matérielle, refus d'intervention du service après-vente, refus de dialogue de la hotline, procédure de remboursement comportant des clauses manifestement abusives pour décourager les demandes de remboursement, etc. Depuis quelques années, il y a aussi le tatouage, une technique qui fait que l'ordinateur ne peut fonctionner si l'on change le contenu du disque dur pour installer un autre système d'exploitation. Dans la mesure où le tatouage n'est jamais clairement affiché à l'achat, il n'est pas détectable sauf par des spécialistes.

Pourquoi cette résistance ?

_ Nous pensons que leur acharnement est principalement motivé par les accords commerciaux qui les lient à Microsoft. Vue la situation de monopole de Microsoft, ils ne peuvent pas se fâcher avec lui sous peine de subir les représailles commerciales classiques (délais, arrêt des ristournes et des participations croisées aux campagnes publicitaires). Tous y ont aussi un intérêt fiscal. Microsoft déclare en France et en Europe un chiffre d'affaire bien moindre que celui qui est estimé par divers moyens . La pré-installation de logiciels sur du matériel neuf sous d'autres cieux est un moyen efficace d'échapper à la fiscalité française en dissimulant les coûts et les bénéfices des parties. Ceci est avéré pour DELL et Microsoft via l'Irlande.

Avez-vous eu des contacts directs avec certains constructeurs ou distributeurs ?

_ Nous avons certains contacts (avocats, salariés, commerciaux) mais rien avec les directions. Cela aurait dû se faire dans le cadre de nos rencontres avec la DGCCRF (2), mais aucune suite n'a été donnée. En attendant, nous leur avons adressé directement une lettre ouverte voilà bientôt neuf mois, co-signée par trois associations nationales de promotion des logiciels libres (ADULLACT, AFUL et APRIL).Nous n'avons aucune réponse.

Dans les derniers procès gagnés, l'un n'affirmait pas que la présence de Windows sur un ordinateur personnel était de la vente liée ou subordonnée, et l'autre parlait d'exception «lorsque la pratique commerciale présente un intérêt pour le consommateur ou lorsqu'il existe des mécanismes de remboursement des licences»...

_ Tout d'abord, le but de ces deux procès était de faire jouer enfin le CLUF, le contrat entre Microsoft et l'utilisateur final (4). Juridiquement, on était sur le terrain contractuel. Car, bien que le remboursement soit explicitement prévu dans ce CLUF, concrètement les fabricants et revendeurs s'ingénient à le mépriser et à tout faire pour décourager l'utilisateur final. L'idéal pour eux serait qu'on ne le lise pas !

Il faut avoir du courage pour subir un an de procédures judiciaires, de renvois en renvois pour peut-être récupérer au final 80 à 150 euros de licence, sans parler des aléas juridiques. Ils ont peur de l'exemple.

Après, ça tient au fonctionnement de la justice. Dans le jugement auquel vous faites référence, la question de la légalité de la vente liée est posée au moment de la demande de dommages et intérêts. C'est une question ardue et le plaignant n'avait pas d'argument autre que sa simple lecture littérale du code de la consommation. Face à lui, la défense n'a fait que reproduire une rhétorique rodée émanant de l'administration. Le juge s'en satisfait sans en examiner le bien fondé, tout en rappelant qu'il prend en compte le fait que le demandeur a eu accès au remboursement. En quelque sorte, il conditionne la légalisation de la vente liée à cette possibilité.

Il est assez difficile pour nous, néophytes, de comprendre cette nécessité d'argumenter quand les textes sont si clairs. Tout ceci explique que nous ayons perdu un autre procès, plus ambitieux dans la mesure où nous sollicitions le remboursement en nous fondant sur l'illégalité de la vente liée ( article 122-1 du code de la consommation ). Nous laissons à l'UFC ce point extrêmement complexe sur la base duquel elle a d'ailleurs attaqué deux revendeurs et un constructeur.

Vous dites que la «Répression des Fraudes reconnait que la situation

est anormale mais ne fait rien», comment l'expliquez-vous ?

_ Malgré la rencontre entre la DGCCRF, les associations de consommateurs et les associations du Libre il y a un an, je pense qu'ils ne comprennent toujours pas l'étendue du problème et les sommes en jeu. Ils considèrent sans doute, comme la commission Concurrence à la Commission Européenne, que les systèmes Microsoft ne sont pas substituables, et, résultat, en oublient un détail : le code de la consommation.

Autant elle paraît intransigeante dans les domaines classiques de la consommation, autant elle est d'une frilosité incroyable s'agissant de nouvelles technologies, et fait montre d'un grand laxisme. Leur administration actuelle semble plus sensible à de mauvais arguments des entreprises qu'aux multiples arguments juridiques et économiques en faveur des consommateurs.

Comme alternative, vous proposez notamment des codes d'activation pour les logiciels. Pouvez-vous nous en dire plus ?

_ Puisque les revendeurs ne veulent pas entendre parler de l'optionnalité dès l'achat, nous proposons l'activation active et a posteriori des logiciels. Elle se fait en ligne ou dès l'achat, et a un coût marginal car déjà opérationnelle. Pré-installation ne veut pas dire pré-activation. En dissociant les deux nous pensons avoir la solution qui répond aux besoins des consommateurs ne voulant pas des licences logiciels pré-installés, comme de ceux souhaitant avoir une machine immédiatement opérationnelle, tout en coupant court aux arguments douteux des constructeurs.

Ils avancent par exemple que l'optionnalité serait coûteuse vue l'organisation de la production. Personne n'est en mesure de vérifier, mais l'argument semble fallacieux car ils produisent déjà des ordinateurs personnels «nus» et ils savent gérer l'optionnalité sur les logiciels préinstallés (XP fat 32 ou NTFS, Vista ...). Par exemple, DELL, pour quelques euros, installe n'importe quel système fourni par un client professionnel même sur un nombre très limité de machines. De plus, le mécanisme d'activation en ligne existe déjà et est opérationnel pour de nombreux logiciels. Les constructeurs avancent également que la pré-installation systématique permet de réduire les prix. Alors, que d'après nos chiffres, cela donne une économie inférieure à un euro par ordinateur pour l'acheteur.

Avec un peu de bonne volonté de la part des constructeurs et des vendeurs, ceci pourrait même être réglé à l'achat, comme en téléphonie mobile. Comme pourrait être réglée dès l'achat l'optionnalité : sans même devoir désinstaller les logiciels refusés, l'acheteur ne recevant pas les codes d'activation et le vendeur devant tout simplement décoller l'autocollant "certificat d'authenticité" (COA) présent

actuellement sur tout ordinateur neuf. Pas de quoi fouetter un chat.

(1) Le député Philippe Tourtelier avait déjà saisi le gouverment sur ce problème en décembre 2004. Par ailleurs, il avait également été soulevé par le secrétaire d'État lui-même en août 2005 alors qu'il était encore député.

(2) Le premier procès (septembre 2007) concerne la plainte d'un consommateur, Antoine Gutzwiller, contre la société Acer Computer France pour obtenir le remboursement des logiciels (Microsoft Windows, Works, PowerDVD, Norton Antivirus, etc.) sur l'ordinateur portable qu'il avait acheté. Le second (juilllet 2006) est celui de Gérôme Cresp contre Asus pour le remboursement des logiciels pré-installés sur l'ordinateur portable Asus qu'il a acheté.

(3) On appelle logiciels OEM (Original

Equipment Manufacturer) les logiciels vendus en même temps qu'un ordinateur neuf et qui ne peuvent être vendus séparément.

(4) Le Contrat de Licence Utilisateur Final (CLUF) de Microsoft prévoit que : «En installant, en copiant ou en utilisant de toute autre manière le logiciel, vous reconnaissez être lié par les termes du présent CLUF. Si vous êtes en désaccord avec ces termes, vous n’êtes pas autorisé à utiliser ou à copier le logiciel, et devez contacter rapidement le fabricant afin d’obtenir des instructions pour le retour contre remboursement du ou des produits non utilisés conformément aux modalités de retour des marchandises définies par le fabricant».

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