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Libération

«Un simple lien vers des données»

par Andréa Fradin
publié le 29 juillet 2010 à 10h08
(mis à jour le 29 juillet 2010 à 11h10)

Thibaut Thomas est consultant en stratégie de médias sociaux et étudiant chercheur en sciences de l’information et de la communication. Il conteste l’idée d’une révolution du journalisme engendrée par WikiLeaks.

Que représente WikiLeaks pour le journalisme traditionnel ?

Pour les thuriféraires du Web, WikiLeaks serait la victoire suprême du «datajournalism», ce néologisme qui désignerait l’exploitation, par le journaliste, de recueil de données, voir même de «crowdsourcing», ce barbarisme décrivant la collaboration de foules connectées. On nage en plein angélisme 2.0 : loin de constituer une victoire des nouvelles formes de journalisme, cette fuite de documents réaffirme au contraire la pertinence du journalisme d’investigation le plus classique.

Pourquoi ?

La première erreur est de considérer, comme ça a été le cas sur le Web, que WikiLeaks serait une victoire de la libération des données ou opendata, ce mouvement qui milite pour la mise à disposition de bases de données informatiques au plus grand nombre. Or que trouve-t-on dans la besace de Wikileaks ? Des rapports, des documents, des témoignages, des listes d’événements. Bref, on est loin de données brutes représentées par une série de 0 et de 1 ou par des tableurs ! Ces documents sont des sources journalistiques de nature très différentes, dont il faut tout d’abord comprendre l’établissement, la raison d’être, l’utilité ; en clair: la construction. Le terme «données» nous le rappelle étymologiquement : il y a donation d’une partie vers une autre. Les données brutes, qui révéleraient la vérité par elles-mêmes, n’existent que dans l’imaginaire des informaticiens, il n’y a jamais que des documents complexes, créés dans des situations complexes. Ces pseudo-données sont construites et doivent être interprétées comme telles : des sources d’information à traiter, vérifier, expliquer et, le cas échéant, utiliser. Se contenter de placer des punaises sur une carte ne nous apprendra rien sur la fabrication des punaises.

Que penser alors du partenariat noué entre WikiLeaks et trois grands quotidiens internationaux ?

En fournissant les documents en sa possession aux rédactions du New York Times, du Guardian et de Der Spiegel, WikiLeaks a reconnu l’importance du journalisme traditionnel et, de fait, sa propre impuissance. Le site web n’a finalement été que le simple lien technique qui permet à des journalistes expérimentés d’accéder à des sources divulguées par un militaire américain. Où est la révolution ? Nous assistons à la défaite du modèle de la «sagesse des foules» : même ses défenseurs passent la main aux professionnels lorsqu’ils veulent un travail le moins critiquable possible ! WikiLeaks s’est réduit tout seul à n’être qu’un banal outil du journalisme le plus classique, celui qui continue à traiter ses sources avec rigueur et professionnalisme.

Paru dans Libération du 28/07/2010

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