Critique

Un trip vertigineux avec Keiichi Tanaami

Dessins et films psychédéliques… l’œuvre du magicien du cinéma électronique rassemblée dans un livre DVD.
par Marie Lechner
publié le 29 mai 2010 à 0h00

«Keiichi Tanaami, sombre prestidigitateur du cinéma électrique. Keiichi Tanaami, magicien de la télévision en couleur. Keiichi Tanaami, gérant de la discothèque mentale…» Les mots sont du poète, dramaturge, cinéaste d'avant-garde Shuji Terayama, et introduisent à merveille le remarquable livre DVD que Chalet Pointu vient de consacrer à l'œuvre animée exubérante de Keiichi Tanaami. Quatorze films étourdissants, réalisés entre 1975 et 2009, par cet illustrateur, graphiste au cerveau vrillé, né en 1936 près de Tokyo et qui a profondément influencé la scène contemporaine japonaise, Murakami en tête.

Keiichi Tanaami avait 9 ans quand les bombes incendiaires ravagèrent sa ville. Flammes orangées qui dansaient sur les écailles des poissons rouges, dans l’aquarium de son grand-père qui surplombait l’abri où ils se terraient. Poissons qui hantent depuis son œuvre mutante et qu’il s’amusait, petit, à écrabouiller entre ses doigts jusqu’à ce qu’ils rendent l’âme.

Il réservera le même traitement à son cerveau quelques années plus tard, en 1969, lorsqu’il s’envole pour New York, fréquente Warhol et découvre le pop art et le cinéma expérimental (Mékas, Anger…) qui l’amène à tourner ses propres films. Avant de passer à l’Ouest, en pleine montée psychédélique, où il goûte à l’acid music et au LSD, et illustrera des pochettes d’album pour les hippies de Jefferson AirPlane.

L'œuvre de Tanaami, «escamoteur d'objets volants non identifiés» est comme un long trip dont il ne serait jamais revenu. Amplifié encore par une embolie pulmonaire qui le cloue à l'hôpital en 1981, et lui colle des cauchemars et des hallucinations… sur les pins ! Des pins difformes, des crânes et des éléphants, mais aussi des vagues, des flammes, des forêts d'yeux, des oreilles vulves aguichantes, des hommes avions, motifs récurrents qu'il incorpore dans ses œuvres troublantes où collisionnent rêves et souvenirs d'enfance, la culture japonaise de l'ère Edo et le pop art américain.

Tourbillon de lignes colorées, créatures surréelles en perpétuelle métamorphose, et érotisme sauvage comme dans Fetish Doll - fusion cosmique des chairs réalisée dans le cadre de ses «duels d'animation» avec le dessinateur Nobuhiro Aihara - ou encore Shunga, où il donne vie aux estampes érotiques, remplaçant le visage d'une courtisane par une vulve vorace qui tente d'engloutir un phallus récalcitrant.

Ses centaines de dessins superposés, dans lesquels on circule via des travellings très courts ou des zooms vertigineux, les morphings surréalistes à la Emile Cohl, l'aspect tremblotant du dessin, la répétition et l'emploi du flicker - technique en vogue dans le cinéma expérimental qui consiste à faire clignoter les images -, les pulsations rapides de ses images assorties de bandes-son bizarroïdes, provoquent un sentiment de vertige, censé mener à la transe et faciliter l'accès à un monde intérieur.

«Si Keiichi Tanaami revient toujours aux même motifs, c'est pour les transformer et créer toujours de nouveaux univers fantastiques», analyse Helmut Herbst, spécialiste de l'animation, interviewé par Court-circuit. Le réservoir d'images de Tanaami semble inépuisable…

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus