«Uncharted 2», tout un cinéma

Console. Par son inventivité, le titre-vitrine de la PS3 lance une Nouvelle Vague du jeu vidéo.
par Olivier Seguret
publié le 15 octobre 2009 à 0h00

Uncharted 2 : Among Thieves est sorti hier et c'est certainement le jeu le plus attendu d'une saison qui s'annonce abondante. Résumons simplement et d'un trait les raisons d'une telle fébrilité : le volet précédent d'Uncharted reste à ce jour le meilleur jeu du catalogue spécifique à la Playstation 3 de Sony et ce second opus a toutes les compétences requises pour lui être entièrement supérieur.

Du point de vue de la hype et du lustre conféré à un constructeur par un titre exclusif, Uncharted est un peu le Halo de la PS3, sa licence la plus prestigieuse, sur laquelle le studio américain Naughty Dog, propriété de Sony, concentre toutes ses forces et talents. On pourrait interpréter ce rôle de vitrine technologique pour une console qui est dévolue aux équipes de Naughty Dog comme une contrainte, mais c'est l'inverse qu'affirme le Français Christophe Balestra, copatron du studio avec Evan Wells (14 nationalités sont réunies sous le collier du «chien méchant») : «Ce n'est pas du tout lourd à porter, au contraire. Pouvoir se concentrer à fond sur une seule plateforme donne en fait une immense liberté, quelque chose de fusionnel et de sans compromis qu'on ne peut pas vraiment atteindre autrement. Faire briller la PS3 est notre mission et ça nous plaît.»

Naughty Dog a procédé avec ce titre comme avec ses plus grands tubes précédents, de Crash Bandicoot à Jak and Daxter : en commençant d'abord par concevoir et construire le «moteur» maison qui fera tourner la machine PS3. Sur ce moteur est développé un premier épisode canon mais à voilure réduite et encore expérimental, qui impose néanmoins sa marque sans faire d'exploits au box-office. Suit un second volet qui maximalise le potentiel acquis : «Cette fois, on avait pour seule mission de se concentrer sur le jeu et non plus sur l'élaboration du moteur, continue Balestra, et on tire pratiquement 100% du potentiel de la machine.»

Pop art. Par ses lumières et ses couleurs, sa plastique et sa dynamique, Uncharted premier du nom avait conjugué la peinture moderne, l'épopée, le jeu vidéo et le cinéma hollywoodien. D'un point de vue strictement optique, cet effet est largement dû à la haute-définition, norme de l'actuelle génération. Mais l'éclat avec lequel le titre tire un profit esthétique de cette HD est unique. Jusque dans la fameuse motion capture qui donne la mesure de la confiance en soi de l'équipe des développeurs : alors que l'on est aujourd'hui capable d'un photoréalisme presque parfait, Uncharted cherche au-delà, dans un réalisme acquis, déjà digéré et transfiguré, porté vers autre chose qui rappelle le pop art, entre Robert Rauschenberg et David Hockney.

Facile à louer sous ses angles les plus évidents et spectaculaires - son exotisme, sa fraîcheur, sa jouabilité, son intrépidité -, Uncharted 2 brûle aussi d'un feu plus profond et qui le dévore : son idéalisme organique et son rythme explosif, qui flirtent avec quelque chose comme l'essence supérieure du jeu et le rendent implacable, impossible à lâcher. Même subjugué, tout joueur devinera une recette fort spéciale à l'œuvre là-dessous, dont le détail est évidemment très technique et d'une diabolique précision dans ses dosages, mais dont les effets relèvent, eux, d'un ordre alchimiste, aux envoûtements puissants. Ce n'est pas juste une formule : Randy Pitchford, président du studio texan Gearbox Software et ancien prestidigitateur, soutient dans une récente interview que les deux métiers de la magie et du jeu vidéo ont énormément en commun.

Ficelles. Concédera-t-on une faiblesse à Uncharted 2 ? Oui, bon, des ficelles un peu courtes côté scénario, qui nous refait le coup de l'aventure un poil Indiana, un poil Lara et un poil Fritz Lang, avec trésors tibétains et salopard nazi caché derrière tout ça. Mais autant la matière fictionnelle ne déborde pas d'originalité, autant l'art de la faire passer dans le feu de l'action - le fameux storytelling - force sans qu'on y songe le consentement et suscite après coup l'admiration. Curieusement, les modèles proposés par Hollywood ne fonctionnent pas systématiquement. Balestra, encore : «On a essayé de travailler avec un grand professionnel hollywoodien de l'écriture de scénarios mais ça na pas marché. La grosse différence avec le cinéma, c'est la narration "in-game". A la fois très fournie et fluide.» Tout joueur averti sait que l'écriture spécifique pour le jeu vidéo est un art qui reste largement à inventer… Dans la discussion avec Balestra, on a aussi pioché un concept intrigant : celui de «wide linear». «Cela définit la philosophie générale que l'on veut donner à la partie. Eviter que le joueur dévie trop. Il y a un côté "roller coaster" ininterrompu, avec 60% d'action et 40% d'aventure-exploration. Il est très important pour nous que tout le monde aille jusqu'au bout.»

Crucial aussi, ce détail étonnant livré par Balestra : «Tout le jeu est fait en son direct, capté à même l'action. Ça change tout : l'énergie de la scène, la respiration des personnages, la crédibilité de l'immersion.» Le son direct a une très longue et riche histoire dans le cinéma, notamment français, qui lui a très tôt - dès Jean Renoir - fait une place de choix avant de devenir une marque de fabrique et un symbole de la Nouvelle Vague… Uncharted a indéniablement quelque chose d'une new wave pour le jeu vidéo.

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