Menu
Libération
Portrait

Une bouffée d'art frais.

Animatrice du blog We-make-money-not-art, Régine Debatty, 34 ans, déniche des projets innovants à la croisée de l'art et de la technologie.
par Marie Lechner, m.lechner@ecrans.liberation.fr
publié le 8 juillet 2006 à 21h52
(mis à jour le 8 juillet 2006 à 21h52)

«je lis sonblog deux fois par semaine. Je laisse filer trois jours, et elle a trouvé dix trucs déments dont je n'ai jamais entendu parler. Vivat Regina.» Ce n'est pas un fan lambda qui s'exprime, mais l'écrivain américain, pape du cyberpunk, Bruce Sterling en personne. Dans le blog qu'il anime pour le magazine américain Wired, il a couronné Régine Debatty «the very queen of tech-art». La ravissante Belge de 34 ans, ex-prof de latin et grec ancien, est la cofondatrice de We-make-money-not-art, récompensé cette année par un Webby Award (1) du meilleur blog culturel-personnel, devant des poids lourds comme Boing-boing ou Rocketboom. C'est dire. WMMNA rassemble de 25 000 à 30 000 visiteurs uniques par jour, une fréquentation remarquable pour un blog pointu, né en mars 2004.

A cette époque, Régine, après avoir roulé sa bosse comme journaliste à la RTBF et en Espagne, officie dans une agence de multimédia et de réalité virtuelle à Turin... et s'ennuie au bureau. Tout comme Max Paccagnella, un ami qui travaille dans la com et passe son temps libre à développer des applications artistiques pour les téléphones portables, qui finissent par séduire l'un des principaux opérateurs de téléphonie mobile italien. «On a d'un côté l'univers des amateurs, artistes, hackers, qui utilisent-pervertissent les nouvelles technologies, et de l'autre l'univers des boîtes qui développent, fabriquent, vendent ces mêmes technos. Est-ce que ces deux mondes se rencontrent ? Comment ? Pourquoi ? » Les deux acolytes décident de lancer un blog pour documenter ces projets aux croisements de l'art et de la technologie, et l'intitulent ironiquement «We-make-money-not-art».

WMMNA débute par des listes de gadgets ou de projets innovants autour des arts numériques, du jeu, du design interactif, de l'architecture. «J'essaye d'équilibrer les projets conceptuels avec des histoires plus accessibles : affiches porno des années 50, artistes japonais pop, des trucs vintage... Et puis l'art des nouveaux médias, c'est souvent amusant et surprenant. Les lecteurs savent aussi qui je suis : une gentille fille qui ne dit pas du mal des autres, qui répond aux mails, qui adore ce qu'elle fait et qui a des goûts musicaux assez ringards.» Le blog devient très vite le rendez-vous incontournable des technophiles, des étudiants et des chercheurs, mais aussi des «gens plus "marketing"qui ont compris l'importance du regard que les artistes ont sur les technologies».

Le succès est tel qu'au bout de huit mois le blog devient son job à plein temps et lui permet de vivre. Des écoles d'art ou de design le sponsorisent. Régine est sollicitée pour des conférences, des ateliers, elle écrit également pour des publications. «A la fin du mois, le loyer est payé et je suis contente.»

On croise désormais sa jolie frimousse dans toutes les grand-messes d'arts électroniques : à l'Ars Electronica à Linz, à la Transmediale à Berlin, au salon du mobile de Milan, au Sónar de Barcelone, où elle était cette année commissaire de l'exposition en ligne. Mais aussi dans des rassemblements plus underground, comme le Dorkbot, réunion de bidouilleurs qui font «des choses bizarres avec l'électricité». Une princesse au royaume des geeks. «J'ai décidé il y a longtemps que, pour moi, être une fille serait toujours un avantage. Il n'y a pas beaucoup de femmes dans les conférences sur les technologies émergentes. J'ai l'impression que les mecs sont plutôt contents d'entendre ce qu'une femme a à dire sur le sujet.»

L'infatigable Régine écume le monde à la recherche du projet qui la fera palpiter. Les artistes qu'elle admire s'appellent Toshio Iwai, France Cadet, Julian Bleecker, Edwin Van der Heide, Ryota Kuwakubo, qu'elle prend un grand plaisir à faire découvrir à ses lecteurs avides. Le blog s'étoffe, s'approchant d'un format plus «magazine», avec de longues interviews, des comptes rendus de conférences, des photos des festivals. «J'essaye de donner de plus en plus de place aux artistes.» De nouveaux collaborateurs lui prêtent main forte. Ce qui ne l'empêche pas de passer des heures sur le Net. «J'adore ça. Par contre, je deviens totalement pathétique s'il est 14 heures et que je n'ai encore rien trouvé d'intéressant à bloguer.» Régine est désormais invitée partout mais doute encore de sa légitimité. «Lorsqu'un artiste que j'admire me dit qu'il lit mon blog, j'ai envie de lui dire qu'il/elle mérite de meilleures lectures.»

(1) www.webbyawards.com/webbys/current.php ?season=10

www.we-make-money-not-art.com

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique