Menu
Libération

Les images pour contourner la censure

par Marie Lechner
publié le 5 février 2008 à 15h47
(mis à jour le 5 février 2008 à 17h06)

Les premiers trous dans le mur de Berlin ont été l'œuvre des « Mauerspechte », les pic-verts des murs. Ces pic-verts ont inspiré le nom du projet Picidae des artistes suisses Christoph Wachter et Mathias Jud. Leur programme open source, nominé pour le prix de la Transmediale qui s'est achevée dimanche à Berlin, permet de « percer le firewall », ce mur qui empêche l'accès à certains sites web, et ainsi contourner la censure sur internet.

Les manières d'empêcher l'accès à des sites web sont multiples, constatent les auteurs, et se font la plupart du temps à l'insu même de l'utilisateur: «De nombreux pays censurent activement l'Internet, le gouvernement, les fournisseurs d'accès et les services internet contrôlent et souvent bloquent les contenus de manière totalement opaque.»

Les deux artistes ont choisi la Chine, comme terrain d'expérimentation idéal de leur projet, et ont observé pendant trois semaines le fonctionnement du « bouclier d'or », l'immense firewall chinois. Malgré le boom économique, le pays reste sous haute surveillance du régime communiste.

« Pour la plupart des chinois, les nombreux cybercafés sont le seul accès au net. En entrant, chaque utilisateur doit s'identifier et s'enregistrer sous l'œil des caméras de vidéosurveillance » , expliquent les auteurs avant de donner quelques exemples concrets d'accès censuré déguisé la plupart du temps en problème technique. « Lorsqu'on entre le mot « massacre » dans un moteur de recherche chinois, apparaît systématiquement un message indiquant des problèmes de réseau» .

Le firewall empêche d'accéder à certains sites à cause de mots qu'ils contiennent, de l'URL ou en raison du blocage permanent d'un site entier (comme wikipedia.org ). Lorsqu'on invoque un serveur Pici , un formulaire apparaît, nous invitant à entrer une adresse web (la requête est cryptée avant d'être envoyée). Le serveur Pici créé ensuite une image du site web recherché et la renvoie. L'image du site est navigable, et les liens actifs comme sur une vraie page web. Un site picidae n'est donc pas fait de texte et de HTML, c'est une copie de l'écran qui permet de tromper la censure qui filtre les mots. Elle ne peut détecter ou supprimer les pages picidae.

Picidae a parfaitement fonctionné en Chine, permettant d'accéder par exemple aux images google de Tiananmen, à la page d'accueil de la BBC, inaccessible depuis la Chine, ou à la page du Parti Démocratique (dphk.org). « Une requête (au mois d'avril 2007) dans Google via picidae pour le mot « min zhu » qui signifie démocratie en chinois donne 69 900 000 résultats, la même recherche dans google.cn donne 480 000 réponses » , constatent les artistes. Parmi les utilisateurs de Picidae, on retrouve entre autres, le cyberdissident chinois Huang Qi, récompensé par Reporters Sans frontières, qui a passé cinq ans en prison pour avoir créer un site destiné à diffuser les avis de recherche de personnes disparues en Chine. Picidae est aussi utilisé en Iran, à Dubai et dans les pays d'Afrique du Nord. En Europe aussi, il permet de rendre visible la manipulation et le contrôle croissant du net.

Chacun peut participer au projet Picidae en ouvrant un serveur relais Pici chez lui afin de former une communauté qui implémente son propre réseau à l'intérieur du net, un « réseau chaotique qui ne peut être capturé, éteint, filtré ou censuré » , comme le suggérait l'utopie originelle d'un World Wide Web, espace infini et libre.

Cette exploration des « blind spots » (angles morts) était déjà au cœur de leur précédent travail « Zone interdite » , tentative collaborative de cartographier les zones militaires secrètes.

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique