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Libération

Une journaliste accusée d’avoir un peu trop insisté

Isabelle Cottenceau est poursuivie après avoir filmé, pour M6, la «suspension» d’un mineur par des cordes fixées sur son corps.
par Gilbert Laval
publié le 26 mars 2009 à 10h55

Quatre mois de prison avec sursis requis contre Stephen Mattew et Philippe Maxime, six mois avec sursis assortis d'une peine d'amende de 3 000 à 4 000 euros contre Isabelle Cottenceau : entre ceux qui ont pincé la peau du dos de Benjamin Alfonso, 17 ans et 11 mois, pour que des crochets y soient plantés ou qui ont installé les cordes pour le suspendre dans le vide, et la journaliste de l'émission de M6 Zone interdite , qui a filmé cette expérience de «suspension», la procureure Brigitte Lanfranchi a fait son choix.

Qu'elle justifie : tous, dit-elle, y compris le suspendu, ont évoqué à l'audience correctionnelle d'hier à Toulouse «l'insistance» et la «constance» dans ses demandes de la journaliste pour que cette «suspension» ait lieu le 2 août 2006. Et entre midi et deux si possible, «parce qu'elle avait un avion à prendre» .

Le gourou toulousain, réputé grand spécialiste des «manipulations corporelles» – tatouages, piercing et «suspensions»– Torillo Garcia, dit Toro, voit tout de même requérir contre lui un an de prison avec sursis pour «violence avec armes et en réunion sur la personne d'un mineur».

«J'ai parfois eu l'impression d'avoir déclenché la troisième guerre mondiale en demandant que Madame Cottenceau comparaisse pour complicité» , s'exclame la magistrate. Peut-être pas, mais un sacré chahut dans le monde de la presse. «C'est un délit de presse qui est jugé là, estime pour sa part l'avocat de la journaliste , Me Richard Malka. Ces délits sont toujours jugés en audience collégiale. Ici, c'est devant le juge unique d'un tribunal correctionnel que l'on prétend traiter de tout un problème de société.» Ce disant, il tend le bras vers la file des prévenus au bout de laquelle sa cliente est la seule à ne pas avoir des cheveux violets, des scarifications sur le front ou des piercings dans le nez. Les conclusions de madame la procureure ne sont «pas sérieuses» , tranche-t-il en pesant ses mots.

Le fait de savoir si les «manipulations corporelles» sont un problème de société n'est pas longuement traité à l'audience. Ce n'est pas le sujet, ni selon l'accusation, ni selon la défense. «Les piercings ou les tatouages, je m'en fiche , insiste d'ailleurs la procureure Lanfranchi qui a initié l'affaire. Mais là, il s'agit de violence sur mineur.» S'il admet mal le mot de violence, Toro estime tout de même que se faire suspendre dans le vide, des cordes accrochées à de petits cadenas plantés dans le dos n'est «pas anodin» . Lui-même dit au tribunal ne plus avoir «l'énergie nécessaire» pour pratiquer une «suspension» sur sa personne. Il lui aurait d'ailleurs fallu, «pour se préparer psychologiquement» , explique-t-il, plus de temps que la journaliste n'en disposait.

C'est donc Benjamin Alfonso qui allait faire l'affaire. Ce dernier était en contact depuis quelques jours avec cette journaliste. A la juge Véronique Salabert, et regardant Isabelle Cottenceau, il répond que, «oui, c'est elle la demandeuse» .

Le mot était lâché. L'avocat du père de Benjamin, Me Georges Catala, dit bien vouloir comprendre que les journalistes puissent filmer un hold-up : «Mais ils ont tort s'ils organisent ce hold-up pour le mettre en image.» La question est donc de savoir si la journaliste s'est contentée de filmer une scène qu'elle aurait surprise, ou si elle a «provoqué» la scène et «incité» Benjamin à s'y soumettre.

Benjamin lui-même répond de façon ambiguë. « On ne vous a tout de même pas mis un couteau sous la gorge, mais vous avez peut-être été émoustillé à l'idée de passer sous les caméras» , veut savoir la juge Salabert. «Non, répond-il. Mais, j'avais donné ma parole et des gens se déplaçaient pour ça. Je me suis senti obligé d'accepter…» Et quand l'émission a été programmée en octobre 2006, le jeune homme s'est empressé d'appeler tous ses proches pour leur signaler qu'il passait «ce soir à la télé» .

La journaliste, qui estime l'avoir suffisamment mis en garde, est-elle, à elle seule, responsable de la fascination qu'exerce l'objet sur lequel elle travaille ? La procureure Lanfranchi ouvre son code pénal et y lit que la violence est définie comme «toute atteinte à l'intégrité physique» d'une personne. Et il ne fait pas de doute, selon elle, que dans ce cas précis, la journaliste aurait dû se sentir responsable. Le délibéré est attendu pour le 12 mai.

Paru dans Libération du 25 mars 2009

TOULOUSE, de notre correspondant

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