Critique

Une nouvelle paire de manches

Chaussettes. La vadrouille de deux zigotos filmée par une disciple de Jarmusch.
par Eric Loret
publié le 29 octobre 2008 à 6h51
(mis à jour le 29 octobre 2008 à 6h51)

Le principe du voyage, paraît-il, c'est qu'on y recherche son père (genre les Aventures de Télémaque). Dans ce road movie tourné à petit budget par une Américano-Française issue de la bande à Jarmusch et Richard Hell, on le fabrique, comme ça on est sûr de ne pas se tromper.

Le héros s’appelle Kevin, ou Pablo, peu importe, et sa mère l’a laissé dans la chambre d’hôtel qu’ils occupent pour passer le week-end avec son amant. Il décide donc d’aller voir en Espagne s’il y est, comme un vrai héros de roman picaresque. Il embarque avec lui un paumé nommé Louis, pas méchant et qui accepte de le conduire non parce que c’est une histoire réaliste, mais parce que le désir est au volant.

Dans cette voiture, le petit mène le grand en bateau, ce qui lui permet de retrouver l’accès perdu à son enfance, tout en faisant l’éducation de Louis, qui fait (bonne) figure de père. On pense un peu, beaucoup et passionnément parfois, à Alice dans les villes de Wenders, mais en plus physique, à hauteur de chair d’enfant (toujours fraîche), avec un même parcours balisé de références au cinéma et à la télévision et un même jeu sur l’Europe et les Etats-Unis, mixés en un seul et même territoire, celui des cowboys et des Indiens, c’est-à-dire celui de l’imaginaire. Le chemin est semé de visages maternels (une caissière modiglianesque dans un reflet d’hygiaphone) et plus ouvertement encore paternels, puisque, dans la seconde partie du film, Louis visite avec Pablo tous les ex de la mère de l’enfant, dans l’espoir de le passer à l’un d’eux en contrebande et qu’il le garde. Pablo essaiera donc plusieurs pères, comme des chaussettes, avant de choisir celui qui lui convient. On est joyeusement loin des discours moisis sur les liens du sang.

Kim Massee a tourné ce premier long avec son propre fils dans le premier rôle, ce qui produit des effets de séduction entre l’homme et l’enfant d’une étrange (donc) belle intimité. Mais le film se nourrit aussi de la liberté de la découverte et d’un scénario qui, quoique fermement écrit, accueille volontiers tous les accidents, toutes les rencontres au cours du tournage. Il n’y a jamais aucun jugement sur les situations ni agencements que les deux compères (et confils) observent, aucun modèle n’est proposé non plus. «J’essaie de prendre ce que les gens donnent sans le retraduire, dit Massee, prendre, et surtout ne pas voler.» Dans la vie, ajoute-t-elle, chacun fait ce qu’il peut, avec une gaucherie qui est précisément la vie. Comment capte-t-elle tout ça avec sa caméra ? «Je veille.»

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