Usurpateurs d’identwitté

par Alexandre Hervaud
publié le 7 octobre 2010 à 9h30
(mis à jour le 7 octobre 2010 à 9h31)

Mais que c'est énervant d'être abusé à longueur de temps sur le Net, ce réservoir à trublions où l'anonymat est roi… Vivement qu'une loi nous permette d'y voir plus clair. En attendant, il faut s'y résoudre : dix-sept ans après la parution dans le New Yorker du dessin culte de Peter Steiner (un canidé devant son ordi déclarant : «Sur Internet, personne ne sait que tu es un chien» ), savoir à qui on a vraiment affaire sur la Toile est toujours aussi peu évident. Prenez Twitter : le réseau de microblogging qui permet à tout un chacun de faire partager à ses abonnés des saillies, 140 caractères maximum. Comme sur Facebook, les faux comptes (fake, en VO) y sont légions, et dupent régulièrement internautes et médias.

La semaine dernière, on apprenait ainsi que le compte @solferinien , censé être alimenté par un responsable du Parti socialiste masqué, était en fait l'œuvre d'un communicant de l'UMP. Pas cool. Un peu plus tôt, le site du Journal du dimanche nous apprenait que l'humoriste Patrick Timsit avait reçu une proposition de France Inter. Le rigolo avait en effet tweeté : «J'ai été contacté par France Inter. Je n'ai pas donné suite. Faut pas déconner…» Problème : ce Timsit est un faux.

«C'est incroyable, la naïveté des gens» , confie à Libération le petit malin, qui plus est récidiviste, derrière le faux compte en question. Employé dans une start-up, le jour, David n'en est effectivement pas à son coup d'essai en matière de tweet-potacherie : le fameux compte Timsit a déjà représenté deux autres «people» ces derniers mois, à savoir Vanessa Demouy (ex de Classe Mannequin ) et Robert Hue (ex du Parti communiste). «Pour Demouy, j'avais envie de créer un fake crédible , explique David. J'y suis allé mollo sur les blagues au début, je parlais de son actualité. J'avais envie de donner à quelqu'un d'un peu has been une image différente.» En l'occurrence, celle d'une femme engagée et poétique, citant de temps à autre Paul Eluard ou James Joyce… Tout le monde tombe dans le panneau, et David ne tarde pas à recevoir des demandes d'interviews. Sur Europe 1 , Guy Birenbaum affirme : «On est à peu près sûr qu'il s'agit bien de la vraie Vanessa Demouy.» A peu près, ouais. Quand la vraie Vanessa apprend l'usurpation, son agent prévient David par mail : «Elle n'est pas super contente.»

Changeant du jour au lendemain le profil du compte en l'habillant aux couleurs - rouges - de Robert Hue, David s'amuse à nouveau avec l'image un peu ringarde du politique. «J'en ai fait un gros geek, avec plein d'expressions informatiques dans ses tweets.» Averti de la supercherie, le vrai Robert Hue prend plutôt bien la chose (à une vanne sur Franck Ribéry près, qu'il demande d'effacer) et David lui transmet les mots de passe du compte. S'apercevant qu'il est laissé à l'abandon, il le réactive trois mois plus tard : ainsi naît le fake Patrick Timsit.

Pour David, «tout cela est permis par l'absence de personnalités françaises sur Twitter» . C'est vrai que face aux Britney Spears, Kanye West et autres Demi Moore américains, le paysage bling-bling français sur Twitter fait peine à voir. Si quelques comptes fake réussissent à entretenir le doute, d'autres ne cachent pas la tromperie sur marchandise, ni leur but premier : faire rire. A ce sujet, Patrick Goldstein, journaliste au Los Angeles Time et archi-fan du faux compte de Mel Gibson , écrivait en août dernier  : «Le véritable art sur Twitter, c'est la comédie. Avec seulement 140 caractères à votre disposition, vos blagues doivent être affûtées, c'est un peu comme écrire des haïkus comiques. Pour un auteur, c'est comme concocter des vannes pour David Letterman [célèbre présentateur américain de talk-show tardif, ndlr], mais en plus compact - et sans être payé, bien sûr.»

Au rayon fake hilarant, la France peut compter sur @lilianeoublie , une fausse mémé Bettencourt suivie par près de 3 000 abonnés, et dont les saillies percutantes ont débuté avec l'affaire Woerth. Capable de sortir des énormités comme «j'ai retrouvé ma comptabilité sur Wikileaks, ça fait tout drôle» , @lilianeoublie symbolise l'humour taillé sur mesure pour le microblogging. Contacté par Libération , le tenancier du compte se présente comme un étudiant âgé de 20 ans passionné de politique. Pince-sans-rire, il dit avoir oublié la raison de la création du compte : «Je devais m'ennuyer terriblement au cours de mon stage. J'ai pensé au blog, mais le secteur était déjà trusté par Alain Juppé. Alors je me suis rabattu sur un compte Twitter.» Un peu moins actif ces derniers temps, reprise des cours oblige, le compte s'est révélé un substitut de choix pour les amateurs de LOL politique en pleine trêve estivale des Guignols .

Les fake ne se limitent pas pour autant aux personnalités, politique ou show-biz : les marques ne sont pas à l'abri, et le pétrolier BP en sait quelque chose pour avoir subi, pendant la débâcle consécutive à la marée noire en Lousiane, les assauts répétés du très piquant compte @BPGlobalPR . Présenté comme celui des relations presse de BP, ce profil Twitter ironique et mordant ridiculise l'entreprise depuis des mois avec succès : près de 200 000 abonnés au compteur.

Hollywood aussi a compris l'attrait d'un format aussi viral, certains personnages de films ou de séries ayant leur propre existence sur Twitter, à mi-chemin entre l'extension scénarisée déconnante et la vitrine promo pour faire vendre des DVD. Bien réels, cette fois-ci.

Paru dans Libération du 06/10/2010

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