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Libération

Vendetta vous a bien buzzé

Décryptage. Créé de toutes pièces sur le Web, Mickael Vendetta, «blinger» décomplexé, déchaîne les passions.
par Eric Loret
publié le 8 décembre 2008 à 16h23

Un buzz terrible déchaîne le Web depuis des mois. Il a pour nom Mickael Vendetta (MV) et se présente sous l'aspect d'un garçon de 21 ans très musclé, affectant un goût obsessionnel pour le faux chic façon Fouquet's. Son blog égrène quelques vérités dérangeantes: «Je suis Brad Pitt pour le physique, Napoléon pour l'ambition, Colomb pour la conquête [...] Mickael Vendetta appartient à l'élite de la société.» Le phénomène se définit lui-même comme «un produit marketing qui plaît non seulement aux gens qui m'aiment mais aussi aux gens qui ne m'aiment pas» .

Il a d'abord fait exploser la blogosphère puis s'est étendu à la presse people et à la télé avec passage houleux chez Morandini, Cauet et LCI. C'est un buzz au sens technique du terme, une marchandise dont le contenu n'est rien d'autre que son propre message publicitaire, lequel est transmis par les consommateurs via les réseaux sociaux du Web 2.0. Pour le dire plus simplement, Vendetta fait parler les imbéciles (la preuve) et il n'est que la somme des ­discours qu'on tient sur lui. Comme son site officiel l'exprime avec humour: «Ce qu'on dit de Mickael Vendetta est toujours poésie.»

La première réaction à ce buzz humanoïde est l'hystérie, comme si l'on avait été piqué par une mouche (à merde). On s'insurge contre la popularité de ce «bouffon» (ainsi que l'appellent les internautes) avant d'admettre qu'il s'agit d'une fiction de divertissement produite par Trendy Prod (qui avait déjà usiné le conte de Cindy Sander) et plutôt une bonne, parce qu'on y rigole bien. Une fois qu'on a répondu aux «bonnes questions» que nous souffle le blog ( «D'après toi, comment Mickael Vendetta a réussi à gagner autant d'argent en si peu de temps? Pourquoi Mickael Vendetta est-il de droite?» ), on saisit mieux le sel de ses «écrits» et de ses déclarations dans la ­ Bogoss Life de Mickael Vendetta , l'émission de Web réalité postée tous les deux jours sur trendywebtv.com.

Dans une chemise blanche griffée MV, ce héros ultra-contemporain s'y livre à une critique postmarxiste de la marchandise qu'il est lui-même, musclée et huilée comme une mécanique. Il se décrit comme un «cliché» , parle à son public en le traitant de «jeune et naïf» et se paie le luxe de l'insulter: «Les gens qui viennent voir mon blog sont des baveurs qui rêvent d'avoir mon corps et mon esprit. [...] On en fait ce qu'on en veut car ils sont tous d'une connerie monumentale. Il me suffit de vous montrer des choses pathétiques et connes pour vous faire réagir ou pour vous divertir.»

Mickael Adon alias Mickael Vendetta (pseudo qui cumule la ressemblance avec Dieu –Michael – et la vengeance) a d'abord été un «Dieu vengeur» qui vient punir la multitude obscène et narcissique en lui proposant une caricature grotesque de son asservissement: «Je ris à la gueule de tous ces pantins qui se prennent en photo devant leur glace uniquement parce qu'ils portent de la marque ou qu'ils se croient beau.»

Le buzz touche à sa fin, puisqu'il se ­dénonce ­lui-même de plus en plus comme parodie. Le plus intéressant est que la critique désabusée que fait MV du règne de la marchandise n'est pas, comme on pourrait l'imaginer, de gauche. Elle témoigne au ­contraire de ce que le philosophe Jacques Rancière dans son Spectateur émancipé identifie comme une «nouvelle fureur de droite qui reformule la dénonciation du marché, des médias et du spectacle comme dénonciation des ravages de l'individu démocratique» . Fan de la famille et du travail, le produit Vendetta abhorre les médias et «la confusion des genres, mais aussi [...] l'anomie sociale [...]. Ce laisser- faire n'est que le reflet de votre propre destructuration. Aujourd'hui quand je parle à des jeunes, j'ai l'impression que c'est vraiment le bordel dans leur tête.»

MV, soulignent narquoisement ses ­inventeurs, prouve donc en marchant que la démocratie est pourrie: «Mickael Vendetta fait ce qu'il veut de vous car c'est lui qui vous dresse et vous donne la pâtée. Maintenant, ­fermez-la ;)»

Paru dans Libération du 8 décembre 2008

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