Victoire historique de Youtube (et du web) sur Viacom

par Alexandre Hervaud
publié le 25 juin 2010 à 11h26
(mis à jour le 28 juin 2010 à 8h54)

Mercredi matin, au siège français de Google, une conférence de presse conviait les journalistes à se pencher sur l'évolution de YouTube, avec pour intervenant Hunter Walk, directeur du développement produit du site de partage vidéo. On y était, on a vu des vidéos de Super Mario en stop motion en guise d'intro, et on vous aurait bien rapporté le laïus promotionnel du sympathique bonhomme (très focalisé sur la venue du YouTube vers le petit écran, via Google TV et le futur service YouTube Lean Back ), mais l'actualité du site est en fait tout autre : jeudi, un juge américain a donné raison à Google , propriétaire de YouTube, dans un procès fleuve l'opposant au géant hollywoodien de l'entertainment Viacom (MTV, Comedy Central, Paramount...).

Avec ce référé, YouTube, troisième site internet le plus visité au monde, est clairement présenté comme une société ayant respecté les mesures du DMCA (pour Digital Millennium Copyright Act, sorte de mix entre notre DADVSI nationale et la loi pour la confiance en l'économie numérique pour les passages concernant la responsabilité des hébergeurs), le juge signifiant par cette décision que Viacom n'avait pas fait de son mieux pour prévenir le site de la présence de contenu protégé à supprimer. Il confirme également qu'en tant que fournisseur de services sur Internet, YouTube bénéficie grâce à la DMCA de «safe harbor» ( sphère de sécurité ), autrement dit d'une responsabilité amoindrie, une spécificité motivée à la base pour ne pas restreindre l'innovation technologique en bombardant les sociétés high tech de responsabilités trop contraignantes.

Le jugement, de 30 pages, est disponible ici en pdf et lisible ci-dessous via Techcrunch :

Débuté en 2007, ce procès voyait Viacom réclamer un milliard de dollars (814 millions d'euros) à YouTube pour violation de propriété intellectuelle. «Nous sommes déçus par la décision du juge, mais confiant de notre victoire en appel» , a déclaré Michael Fricklas , représentant de Viacom. La société avait été «soutenue» dans ces démarches par des déclarations et dossiers fournis par d'autres géants comme Disney, NBC Universal et Warner Bros, tandis que Google/YouTube avait été pu compter sur la défense de ses pairs high tech comme Yahoo, eBay, et autre Facebook.

La procédure a surtout été marquée par diverses révélations affaiblissant tantôt un camp, tantôt l'autre. On se souvient ainsi de l'accusation de YouTube d'après laquelle Viacom avait uploadé volontairement, via différents comptes, du contenu protégé sur sa plateforme. Ou, à l'inverse, certains mails (parfois potaches et à prendre au second degré) des créateurs de YouTube (Chad Hurley, Steve Chen et Jawed Karim) sur le rapport au site avec l'épineuse question de copyright. Un peu comme Deezer en son temps, né sur les cendres de l'illégal Blogmusik, YouTube a longtemps été accusé d'avoir monter son empire en attirant une audience massive via la présence de contenu protégé (séries, clips, événements sportifs). Une genèse bien retranscrite par Farhad Manjoo , journaliste de Slate.com, qui parlait alors même de «péché originel de YouTube» .

L'affaire marque surtout par le côté quasi-obsolète, ou du moins daté, des faits reprochés. Certes, on trouve encore et toujours du contenu protégé sur YouTube, qui a fêté ses cinq ans il y a quelques mois et qui totalise 2 milliards de vues par jour, mais l'environnement et le business ont quelque peu changé depuis. En témoigne l'initiative UGC Principles née en 2007, à l'époque où Viacom s'apprêtait à attaquer YouTube. Cette charte stipulait des principes pour une meilleure entente entre ayants-droits et sites proposant du contenu créé par les internautes. Signée notamment par Disney, CBS, Myspace, Dailymotion, et Viacom, les UGC Principles avait, dans leur phase préparatoire, été en partie façonnés par YouTube, qui s'était désisté au final à l'aune de son procès avec l'un des signataires (ce qui aurait fait mauvais genre...).

Contacté par Ecrans, Giuseppe de Martino, directeur juridique de Dailymotion, revient sur cet épisode : «il fallait montrer qu'on était là pour durer et qu'on pouvait être des partenaires de confiance, ce qui n'était pas du tout à l'esprit des studios hollywoodiens à ce moment. Cette charte a fait basculer le destin de Dailymotion, puisque quelques semaines après sa signature, on avait des accords commerciaux avec les studios concernés, comme notre partenariat mondial avec Viacom.» On apprend au passage qu'une version française de cette charte est prévue depuis un bail, et fut un temps souhaitée également par un certain Eric Besson, alors ex-secrétaire à l'économie numérique. Aux dernières nouvelles, le projet est depuis aux oubliettes. «La dernière réunion qu'on devait avoir, c'était il y a un an, et elle avait été annulée par faute de salle disponible au Ministère de la culture» , explique, un peu dépité, de Martino, qui verrait avant tout dans cette version française «un signal psychologique» .

_ Démonstration de Content ID

Parmi les conséquences directes de l'affrontement Viacom/YouTube et des fameux UGC Principles , on retrouve la généralisation du fingerprinting , cette technique qui permet aux plateformes d'identifier le contenu protégé soit pour le supprimer, soit pour le monétiser. YouTube a mis en place le système Content ID (qui scanne chaque jour l'équivalent de 100 ans de vidéos !), Dailymotion peut compter sur les technologies INA signature et Audible Magic pour détecter du contenu litigieux. Bien qu'à Dailymotion, on déclare «ne pas avoir eu l'impression d'avoir une épée de Damocles au dessus de la tête» en attendant l'issue de la bisbille entre YouTube et Viacom, nul ne pourra nier l'importance d'une telle décision sur l'avenir des sites communautaires. Elle a même permis a certains observateurs de revenir sur leurs opinions. Le journaliste spécialisé Farhad Manjoo, cité plus tôt, a ainsi regretté son choix éditorial lorsqu'il avait qualifié de «péché» les pratiques initiales de YouTube, reconnaissant que l'équipe n'avait fait que suivre à la lettre les recommandations du DMCA. Pour lui comme pour Giuseppe de Martino, le constat est clair : les technologies évoquées plus haut montrent que l'ère des procès interminables doit être révolue. L'heure est au travail commun entre sites et sociétés de production pour trouver des solutions créatives et souples aux mises en lignes de contenu protégé.

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