portrait

Viré@tf1.fr

Jérôme Bourreau-Guggenheim. Ce créateur de site Internet a été licencié de la Une pour avoir critiqué la loi Hadopi. Il vient de déposer plainte contre la télé privée pour «discrimination en raison des opinions politiques».
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 30 juin 2009 à 6h53
(mis à jour le 30 juin 2009 à 6h53)

Voilà l’homme. Voilà l’homme qui a poissé la chaîne amie du président de la République et son gouvernement. Voilà Jérôme Bourreau-Guggenheim : balancé par sa députée UMP Françoise de Panafieu à l’ex-ministre de la Culture Christine Albanel qui l’a dénoncé à TF1. Qui l’a viré. Hop, dehors, ouste, t’avais qu’à pas penser ce que tu penses. T’avais qu’à pas l’ouvrir, t’avais qu’à pas écrire à ton député.

En fait de rebelle high-tech, de Che Guevara de la Toile ou de premier martyr d'Hadopi, Jérôme Bourreau (le nom de son père) Guggenheim (celui de sa mère) est un type normal, ou à peu près. 31 ans, une gueule de Gainsbourg jeune, un sourire qui fend le visage par le côté, une femme qui s'appelle Sophie, 3 300 euros par mois avant licenciement, une Twingo, un appartement dans un de ces immeubles de briques du XVIIe coincé entre Maréchaux et périph, du Bob Marley en fond sonore. Le clavier sans fil est posé sur la table basse à côté du dernier Edwy Plenel et d'une BD de Larcenet le Combat ordinaire, la manette de jeux dort dans un coin. L'écran est plat, immense, où Bourreau-Guggenheim montre des photos, et connecté à tout un tas de bidules qui couinent régulièrement : 1 323 mails pas encore lus et des nouvelles d'amis qui tombent sans cesse, via Facebook. Sur Facebook justement, le groupe «Soutenons Jérôme viré par TF1 pour ses critiques contre Hadopi» compte 9 343 membres. Petite vanité : «J'espère que ça atteindra 10 000, dit-il d'un de ses sourires en coin, c'est le nombre d'artistes qui ont signé la pétition pro-Hadopi.»

Depuis que Libération a sorti son histoire en mai (pourquoi avoir choisi Libé, au fait ? «A cause du nom, il n'y a pas de mot plus beau»), la pression est redescendue. Mais il ne renonce pas et voilà le gentil Jérôme se transformer en tête de mule, en grain de sable empêchant la collusion de ronronner : «Je les lâcherai pas.» Albanel, elle, a été éjectée, et il n'y est peut-être pas pour rien. Fin de l'histoire ? Point : contre Nonce Paolini, patron de TF1, ce sera une plainte au pénal, en plus des prud'hommes. La plainte, pour «discrimination en raison des opinions politiques», a été déposée hier (lire aussi page 34). «L'argent, ça ne leur fait rien, alors qu'au pénal, ouais, trois mois de prison avec sursis, ça me ferait plaisir», s'amuse-t-il.

Pour Panafieu, c'est un nouveau mail qu'il lui a adressé, «question de principe». Avec la mention «confidentiel». La première fois, l'administré Bourreau n'avait pas pris cette précaution. Il lui écrivait alors tout le mal qu'il pense d'Hadopi et, à l'appui de sa diatribe, précise d'où il miaule : il n'est pas un cyberpunk, non, mais un spécialiste du Web, qui vient d'ailleurs de pondre le nouveau site de TF1.

On est comme ça, chez les Bourreau-Guggenheim, on écrit aux élus. En 1995, sa mère a adressé une lettre à Cécilia Sarkozy pour soutenir son époux d'alors en pleine traversée du désert. En 1997, c'est à Chirac qu'elle écrit son incompréhension de la dissolution de l'Assemblée. Le grand-père, lui, envoyait à l'ensemble des députés un bulletin où il donnait son avis sur tout, «le Caporal épingleur» ! On écrit au député et on discute en famille. Voter à gauche ? Brr… Jérôme y parvient, mais c'est au terme d'interminables débats avec sa mère. Il s'était déjà fendu d'une bafouille à son député à l'occasion du CIP, en 1994 : «Ça me paraît naturel d'écrire, un député est à notre service.» Là, on pourrait lui servir ce que son patron Arnaud Bosom lui a balancé lors de son entretien préalable au licenciement: «Est-ce que tu es naïf ou est-ce que tu fais exprès ?»

Naïf ? «Peut-être», admet-il. Calme et obstiné, revendiquant simplement «le droit de penser ce que je pense». Quand son patron le convoque et lui met sous le nez le mail envoyé à Panafieu, celui-ci exige des excuses. Alors peut-être, il passera l'éponge. Refus. «Je lui ai dit que c'était plutôt à lui de me faire des excuses.» Il dit ça sans forfanterie, pas ramenard pour un sou. Il dit juste «non». Non, il ne se reniera pas. «Je n'aurais pas été fier de moi.» Non, il ne s'excusera pas de trouver qu'Hadopi est une mauvaise loi bêtement répressive. Le piratage ? Il faut lutter contre, «bien évidemment» comme il l'écrivait dans son fameux mail, «mais avec des mesures éducatives efficaces». Las, ce message-là ne passe pas : «On n'arrive pas à dépasser la sphère geek, il y a très peu de députés qui ont soutenu le point de vue des internautes. C'est pour ça que j'ai écrit : je trouve qu'on prend beaucoup de risques à ne rien dire.» Le clivage est plus générationnel que politique, pense-t-il. Il y a ceux - généralement plus jeunes - qui pratiquent et les autres. Et ce béant fossé usager creuse les incompréhensions.

Lui se décrit comme appartenant à la «génération Y» : né dans les années 70, il baigne depuis tout petit dans les nouvelles technologies. Enfin, pas exactement. Il a 3 ans quand ses parents construisent un bateau de leurs mains et laissent tomber Pithiviers, le cabinet de kiné et embarquent leurs enfants pour les îles : le Cap Vert, la Réunion, Saint-Martin, «on débarquait tous les matins pour aller à l'école.» La meilleure amie de la mère de Jérôme Bourreau se souvient de «lui petit, dans les îles, beau, tout bronzé, avec son chien, ça fait cliché, mais c'était comme ça». L'enfance est de rêve, le chien s'appelle Surcouf. Le tour du monde dure neuf ans. Fin du voyage en 1990, pour que les enfants suivent des études, et retour dans le gris Paris.

Pour Jérôme, le rebelle tranquille, ce sera la fac contre l'avis de ses parents qui le voient en école de commerce : des études d'informatique à Dauphine où il rencontre sa femme. Puis les premiers boulots, une start-up, un site sur la démocratie participative. Il a découvert le Web en 1996 aux Etats-Unis : Yahoo, Amazon, eBay. «C'est comme ça que je me suis cultivé, moi qui ai grandi comme un petit sauvage : sans culture, ni librairies.» C'est aussi pendant ses études qu'il se met à télécharger, «généralement des trucs que j'avais déjà vus». Enfin, c'est TF1, et Jérôme est content. Ses amis, sa famille le chambrent gentiment sur «la boîte à cons». Il tient tête, défend son usine, «ce n'est pas mon genre de dénigrer mon entreprise». Jusqu'à être fauché par un méchant forward entre Panafieu, Albanel et TF1.

Là, il se laisse un peu vivre jusqu'à la fin de son préavis à la mi-juillet. Il a «quelques pistes de travail», n'est pas inquiet. Il parle souvent de sa mère, l'appelle «maman», cette femme singulière, tuée en 2008 par un cancer du cerveau. Qui, elle aussi, est allée contre sa famille, épousant un marin, divorçant et filant aux Etats-Unis retrouver son amour d'enfance.

Au mur de Jérôme, un genre d’autel photographique réunit la famille. La mère, qui sourit en noir et blanc. Le grand-père, résistant, juif converti au catholicisme, gaulliste, fondateur dans les années 80 d’une société qui louait des magnétoscopes et s’est heurté en 1983 à Laurent Fabius qui y voyait un piratage du cinéma français… Sa sœur est là aussi, son frère. Jérôme, enfin, au bras de Sophie. Seul intrus à la famille, un homme défie l’objectif : le guerrier apache Geronimo.

Photo JÉRÔME BONNET

Jérôme Bourreau-Guggenheimen 10 dates

21 janvier 1978

Naissance à Orléans.

1981

Tour du monde en bateau.

1990

Retour à Paris.

1997

Vote Jospin aux législatives.

1998

Etudes à Dauphine.

2007

Entre à TF1.

19 février 2009

Envoie un mail anti-Hadopi à Françoise de Panafieu.

19 février 2009

Son mail est forwardé au ministère de la Culture.

19 février 2009

Son mail est forwardé à son chef à TF1.

16 avril 2009

Il est licencié de TF1.

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