Vos papiers Facebook, SVP

par Marie Lechner
publié le 5 mars 2012 à 16h02

A l'avenir, lors d'un contrôle d'identité, peut-être qu'on ne vous demandera plus votre passeport (aussi biométrique soit-il), mais votre carte d'identité Facebook. C'est le pari provocant que fait l'artiste berlinois Tobias Leingruber en mettant en circulation les premiers exemplaires de ces papiers susceptibles de remplacer dans un futur proche les documents administratifs officiels. Son FB Bureau , en phase de test, émettra à la demande, à partir de cette semaine, une carte frappée de votre numéro d'identification (ID) sur le réseau social, avec votre nom dans le civil, celui d'utilisateur, genre, date d'entrée sur le réseau, et un QR code, code-barres qui permet d'accéder à votre compte.

Le projet s'inspire d'une anecdote personnelle. Alors qu'il franchissait, l'été dernier, la frontière canadienne pour les Etats-Unis, un agent lance à Tobias Leingruber sur le ton de la blague : «Alors, quel est ton nom sur Facebook ?» Beaucoup moins drôle lorsque la demande émane d'un soldat syrien. «Lorsqu'on traverse la frontière libanaise pour la Syrie, on peut être stoppé par un soldat travaillant pour la police secrète qui demande à voir votre passeport et si vous avez un Facebook», rapporte le collectif Foundland qui s'est intéressé au rôle du réseau social dans le soulèvement ( lire l'article ).

Il y a aujourd'hui dans le monde près de 900000 citoyens de Facebook qui ont tous une ID. Ce qui fait du leader des réseaux sociaux le système identitaire dominant sur le Web. Depuis sa création il y a huit ans, il a mis bon ordre dans ce bordel qu'était la Toile, éradiquant progressivement l'anonymat qui régnait alors dans le World Wild Web . Comme le souligne l'artiste, lorsqu'on s'inscrit aujourd'hui à de nouveaux services, il est courant d'utiliser Facebook Connect, au lieu de créer un nouveau compte. «Les gens ont cessé de haranguer dans les blogs parce qu'ils n'autorisent que des commentaires avec votre "vrai nom", autrement dit votre identité Facebook.»

Alors que les polémiques se suivent et se ressemblent concernant les nouvelles cartes biométriques censées empêcher l'usurpation d'identité et surtout faciliter le shopping en ligne, Leingruber estime que ces technologies sont déjà obsolètes, comparées à la structure existante de Facebook. « En contrôlant nos identités [en ligne] et en les couplant avec nos données sociales, il n'est pas très difficile d'imaginer l'établissement d'une ID valide dans le monde entier.» Un projet qui pose la question des enjeux d'une identité qui serait contrôlée par une entreprise et non plus par un gouvernement.

FB Bureau sera présenté dans le cadre de la manifestation Unlike Us , organisée par l'Institute of Networked Culture, à Amsterdam du 8 au 10 mars. Universitaires, artistes, activistes et programmeurs y réfléchiront aux alternatives possibles dans le domaine des médias sociaux, monopolisés par de grosses corporations qui s'enrichissent en marchandisant les relations sociales. Plusieurs projets de plateformes décentralisées, et open source, visant à redonner une autonomie aux usagers (dont Crabgrass, Secushare, Freedombox, etc.) y seront présentés.

Une exposition rassemble aussi une série d'expérimentations et prototypes critiques et ludiques, comme la Poking Machine , prothèse constituée d'un doigt mécanique qui vous tapote physiquement à chaque notification de vos amis virtuels. Y figurent aussi diverses extensions comme Faceleaks , qui permet de «faire fuiter» vos amis hors de Facebook et de rendre publiques leurs photos de manière anonyme sur le site FaceLeaks. Ou l' add on John Smith pour Chrome transforme chaque utilisateur de Facebook ou Google+ en John Smith, le nom le plus commun sur ces médias sociaux.

Paru dans Libération du 3 mars 2012

Mise à jour du 05 mars :

Suite à une lettre de cessation et d'abstention des avocats de Facebook, l'accusant de contrefaçon de marque, Tobias Leingruber a fermé le site web FB Bureau, renonçant à batailler contre le géant et à tenter de le convaincre de la nature artistique de la démarche. «L'idée est lancée, le projet est réussi , déclare l'artiste. Je préfère travailler sur de nouvelles idées que de discuter avec des avocats» . Il n'a pas pour autant renoncé à émettre les cartes d'identité Facebook, mais sans le logo de la marque, lors d'événements ponctuels , en ouvrant des bureaux «sauvages» dans l'espace public, comme le 2 février dernier au centre d'art berlinois Supermarkt ou le 16 mars prochain à Amsterdam.

Leingruber pensait, à tort visiblement, éviter les accusations de contrefaçon «en utilisant FB au lieu de Facebook. Actuellement, il réfléchit à une manière de ne pas utiliser Facebook, face ou Book ou FB ou F sur les cartes d'identités. J'espère juste que Facebook Inc, n'a pas déposé une marque sur l'alphabet tout entier» , plaisante l'artiste.

Leingruber a même fait des émules, puisque l'ingénieur allemand Moritz Tolwdorff a dans la foulée lancé une carte d'identité Google+ . Devant l'accueil enthousiaste de ses followers, excités à l'idée de pouvoir brandir cette carte de visite stylée et pratique, il a même créée un générateur en ligne permettant aux utilisateurs du réseau social de Google, de la fabriquer soi-même. Pas sûr qu'ils aient été sensibles à la dimension critique du projet de Leingruber.

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