Voyage au son de la Terre

par Marie Lechner
publié le 12 mars 2012 à 10h57
(mis à jour le 12 mars 2012 à 13h00)

Peut-on entendre la Terre ? Quel son produirait-elle si on faisait circuler une tête de lecture sur sa surface ? Le collectif français Art of Failure a aplati la planète sur un disque, gravant dans ses sillons les relevés topographiques terrestres, transposant les reliefs en ondes sonores. L'aiguille arpente les continents par monts et par vaux à la vitesse de 40000 kilomètres (le tour de la Terre) toutes les 1,8 secondes (la durée de rotation d'un 33 tours), alternant craquements analogiques des cimes et silence des océans.

Earth to Disk est un objet inouï à défaut d'être musical, un vinyle fantasmatique (édité par le label Artkillart d'ici à la fin de l'année) dont la surface miroitante et tournoyante fait apparaître une légère image de la Terre. L'œuvre synthétise les représentations du globe : celle, ultraprécise, des cartes numériques obtenues par les radars de la Nasa, et celle, plus propice à la rêverie, des anciens, qui supposaient la Terre plate, de la forme d'un disque ceinturé par un fleuve.

Earth to Disk

Présentée au centre d'arts numériques Seconde Nature à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), dans le cadre de l'exposition «Topolog1es» co-produite avec l' Espace multimédia Gantner, elle s'inscrit dans les tentatives du collectif de représenter de manière sensible ce monde de données dans lequel nous évoluons. Un monde où technologies de communication et moyens de transport tendent à annihiler le temps et l'espace par la vitesse de transmission, difficilement représentable par la géographie classique.

Earth to Disk

Nicolas Montgermont et Nicolas Maigret, d'Art of Failure, s'emploient à rendre tangibles ces espaces immatériels de l'information en imaginant de nouveaux types de paysages propres au Net. Comme dans l'installation Internet Topography , qui donne à entendre le bruit de fond du réseau. Plus précisément, celui d'une infrabasse envoyée depuis un lointain serveur à Tokyo vers l'espace d'exposition. Le signal, qui doit traverser la planète, transitant par Los Angeles, New York, Londres, Paris, etc., subit de multiples perturbations : des paquets se perdent, se dupliquent, sont corrompus, arrivent en retard. Les bourdonnements numériques qui font sursauter le visiteur sont le produit brut de ce voyage éclair chaotique : l'érosion subie en chemin est transcrite sous la forme d'une topographie imaginaire, paysage instable de creux et de bosses projeté au sol, donnant une image mentale du réseau en temps réel.

«D'ordinaire, le signal de départ et d'arrivée est le même grâce à des dispositifs de correction d'erreurs qui donnent l'impression que le voyage s'est fait sans accroc et maintiennent l'illusion de la transmission parfaite et instantanée» , expliquent les artistes, qui ont choisi de désactiver cette fonction et de donner à entendre les péripéties du signal à travers les nœuds du réseau. Ils ne cherchent pas à gommer ses imperfections, mais exploitent au contraire ses émouvantes défaillances, loin de l'image idéalisée des autoroutes planétaires.

Internet Topography

Infinite Stream Loop pousse cette idée à son extrême. Puisqu'au départ, c'est un «silence» (un signal vide) qui est injecté sur le Net le 1er juillet 2010. Depuis, le flux fait des allers-retours permanents entre la France et le Japon, empruntant les itinéraires hasardeux du réseau et s'enrichissant chemin faisant de cette matière agglomérée. Le silence s'est mué progressivement en un son dense et complexe, archivé quotidiennement depuis un an et demi.

Toujours dans cette tentative d'appréhender la «datasphère», ils envoient des sondes vers des ordinateurs dans tous les pays de l'ONU. Le temps de parcours des données est visualisé sous la forme de 193 courbes oscillantes qui dessinent une encéphalographie en temps réel du réseau, «un peu comme si on posait des capteurs à différents endroits du cerveau pour s'informer de l'activité de ses neurones» .

Internet et ses ordinateurs inertes interconnectés deviennent ici une sorte d’organisme vivant planétaire. A l’aide d’outils pseudoscientifiques, les artistes créent les conditions d’apparition de ces flux de 0 et de 1 qui façonnent le quotidien. Mercredi, ils joueront 8 silences, une immersion au cœur des flux de données lors d’une soirée de performances donnant corps à ce réseau. Gwenola Wagon refera le tour du monde sur Google Earth, et le collectif RYBN donnera à entendre le «Flashcrash» du 6 mai 2010, krach boursier le plus soudain jamais vu, où le Dow Jones perdit 900 points en quelques minutes du fait d’algorithmes de trading défaillants.

Paru dans Libération du 9 mars 2012

Topolog1es

_ Seconde Nature, Aix-en-Provence (13)

_ Jusqu’au 17 mars.

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