Après des mois de spéculations et de tribulations, c’est fait. Hier à 17 heures à New York, après la clôture de Wall Street, Facebook, le groupe fondé en 2004 par Mark Zuckerberg, a déposé son dossier d’entrée en Bourse. Le réseau social qui a révolutionné Internet en quelques années, et qui revendique 800 millions d’utilisateurs, s’est fixé l’objectif de lever dans un premier temps 5 milliards de dollars (3,8 milliards d’euros), avec une valorisation estimée entre 75 et 100 milliards de dollars (57 et 77 milliards d’euros). La cotation effective de Facebook à New York, qui devrait se faire sous le sigle «FB», interviendra vraisemblablement en mai.
La nouvelle a été accueillie par un vent de folie à Wall Street, qui n'a pas connu une telle opération depuis longtemps. L'introduction, qui est supervisée par la banque d'affaires Morgan Stanley, est la plus importante jamais réalisée dans le secteur Internet, bien loin devant celle de Google il y a sept ans. Hier, les courtiers évoquaient «une belle foire d'empoigne», estimant «que tout le monde allait se jeter sur les actions Facebook dans les semaines à venir» .
L’opération marque donc une étape déterminante dans l’expansion du site communautaire, qui vient de déménager dans des immeubles flambant neufs à Menlo Park, en Californie.
Jusqu'à présent, le petit génie Mark Zuckerberg, 27 ans, dont on a appris hier qu'il détenait 28,4% de Facebook, s'était bien accommodé du fait de ne pas avoir à rendre de comptes et de ne pas être obligé de divulguer ses résultats financiers. Dès que sa cotation sera officielle, il devra subir la pression des marchés et des investisseurs, et se justifier quant à sa future stratégie de développement. Une perspective qui ne l'enchante pas et dont il a assuré plusieurs fois qu'elle pourrait nuire à son «potentiel de création» .
Depuis plusieurs mois, un débat s’est en outre ouvert à Wall Street quant à la réelle valeur de Facebook, alors que certains analystes estiment que le site communautaire ne vaut pas forcément 100 milliards de dollars. Selon la firme de recherches eMarketer, le groupe a vu ses revenus publicitaires passer de 738 millions de dollars en 2009 à 3,8 milliards en 2011 (2,9 milliards d’euros). Mais les interrogations subsistent sur son business model et sa réelle possibilité de renforcer encore sa base d’utilisateurs.
Pour l'instant, Zuckerberg a fondé son développement sur ce que certains appellent «le vaste trésor de Facebook» . En clair, la banque de données personnelles des 800 millions «d'amis» que le site exploite en essayant d'en tirer des revenus publicitaires. Le moindre clic d'un particulier sur une page peut ainsi provoquer l'apparition de nouveaux bandeaux de publicité de différents annonceurs. «C'est évidemment cela que les investisseurs vont étudier de près, commentait hier Shawn Carolan, l'un des directeurs du fonds d'investissement Menlo Venture, la réelle capacité de Facebook à continuer à monétiser à long terme les éléments qu'il recueille sur chacun de ses clients.»
Au centre des interrogations se trouvent, toutefois, les différentes polémiques que Facebook a déjà engendrées quant à l’utilisation de ces données privées. A plusieurs reprises, le site a dû reculer devant les protestations massives des internautes. En 2009, plusieurs associations de défense de la vie privée avaient ainsi saisi les autorités américaines après que le réseau social ait rendu publiques de multiples informations personnelles sur les profils, et notamment les lieux de résidence des utilisateurs.
Au final, en novembre, le géant a dû signer un accord avec la Federal Trade Commission, le régulateur fédéral du commerce, afin de limiter les violations de la vie privée. Le site s’est alors engagé à mettre en place des règles plus claires, dont certains estiment qu’elles pourraient limiter sa propension à maximiser ses revenus publicitaires. Selon plusieurs experts, Mark Zuckerberg aurait en fait l’intention de commencer à développer d’autres sources de revenus potentiels. Il est d’ores et déjà possible, par exemple, d’acheter directement des billets de concert ou de cinéma via Facebook.
Et le groupe compterait continuer à faire évoluer son réseau social vers une plateforme commerciale «totale», où de nombreuses transactions pourraient avoir lieu. «Nous savons déjà comment Facebook a changé Internet, nous savons déjà que Zuckerberg est un visionnaire et un génie. La seule question qu'il faut se poser désormais est de savoir s'il est un bon businessman» , résumait hier un analyste à Wall Street, tandis que la Bourse saluait à la hausse ce «moment historique» .