Warner Music veut dépénaliser (et taxer) le p2p pour les étudiants

par Astrid GIRARDEAU
publié le 5 décembre 2008 à 20h11
(mis à jour le 11 décembre 2008 à 11h04)

L'Amérique du Nord serait-elle mûre pour une licence globale ? , se demandait-on en mars dernier. Pour la première fois, les majors du disque envisageaient la mise en place d'une taxe globale pour le partage de fichiers. Défenseur de cette démarche, Jim Griffin, consultant sur la stratégie numérique de trois des quatre majors, proposait alors une taxe, d'environ cinq dollars par utilisateur et par mois, sur les connexions haut débit, qui servirait à indemniser les ayant droits. Depuis, l'idée semble se concrétiser. Ainsi Warner Music Group serait en train de démarcher les universités américaines pour la mise en place de ce qui ressemble à une licence globale, rapporte Mike Masnick, de Tech Dirt , repris aujourd'hui par Numerama .

D'un côté, on a donc les différents représentants des industries du disque et du cinéma (RIAA, IFPI et MPAA), qui poursuivent leurs actions offensives contre le piratage au sein des campus américains via l'envoi massif de notifications. Et tout récemment en allant jusqu'à faire voter au Tennessee un texte obligeant les universités «à mettre en place un système efficace pour empêcher la violation d'œuvres protégées via les ordinateurs de l'établissement et les ressources du réseau» .

De l'autre, certains semblent commencer à prendre conscience de cette «impossible guerre contre le piratage » (Lawrence Lessig), et à envisager les choses autrement. Selon Tech Dirt , Warner Music Group serait ainsi entrain de démarcher les universités pour leur proposer un contrat appelé «licence globale volontaire» : en échange d'une taxe, les étudiants pourraient télécharger un nombre illimité de fichiers de musique sur les réseaux p2p. L'argent collecté serait réparti ensuite par une organisation à but non lucratif, intitulée Choruss, entre les différents partenaires (majors, labels, artistes indépendants, etc.) de l'organisation au prorata du nombre de téléchargements. Pour cela, le fournisseur d'accès Internet de l'université serait chargé d'estimer les volumes téléchargés pour chaque morceau (par exemple via un panel d'utilisateurs).

La licence se ferait donc au niveau des universités. Il est en effet prévu que le contrat s'applique obligatoirement à tous les étudiants. En échange, ces derniers obtiennent de ne plus être poursuivis par les partenaires de l'organisation. «Ce n'est pas vraiment une licence. C'est un "pacte de non poursuite en justice"» critique Mike Masnick . Plusieurs établissements, dont le MIT et les universités de Columbia, Stanford, Chicago, Washington, Colorado, Michigan, Cornell, Penn State, Berkeley et Virginie se seraient dites intéressés. Et Warner Music d'affirmer être «en train de rassembler tous les droits (d'enregistrement et d'édition) des quatre majors du disque et des labels indépendants» .

Dans son document de présentation (voir ci-dessous), Warner explique également être soutenu par l'Electronic Frontier Foundation (EFF) et Public Knowledge. Or, si les deux organisations de défense des droits d'internautes se sont toujours montrées plus que favorables à la la mise en place d'un système de licence globale, elles n'ont jamais pour autant approuvé ce projet officiellement. En mars, elles émettaient même un certain nombre de réserves et remarques sur les propositions de Griffin, qui se posent toujours ici.

De son côté, sur son blog , Philippe Aigrain, partisan d'un système d'échanges basé sur un financement mutualisé (qu'il développe dans son livre Internet et Création (1)) tient «à saluer cette ouverture» . Et appelle donc à la critique constructive. Il se demande par exemple pourquoi limiter cela aux universités alors que, selon lui, «il est évident qu'un tel mécanisme a vocation à toucher tous les publics dès qu'il existe (le contraire serait d'ailleurs discriminatoire)» . Mais aussi, pourquoi le limiter à la musique, «alors que les bénéfices de ce mécanisme seront bien plus grands si d'autres médias y sont inclus ?» .

Par contre, si Aigrain prône une redevance obligatoire, dite «contribution créative» , -- le seul moyen selon lui de pouvoir calculer les prévisions de recette--, cet aspect est très impopulaire de l'autre côté de l'Atlantique. Même chez les défenseurs de la licence globale, comme Public Knowledge .

Maintenant, si le système ne peut effectivement fonctionner que si un grand nombre d'acteurs (FAI, industries du divertissement, universités, etc.) y participent, Mike Masnick craint que

les fournisseurs d'accès Internet et universités n'aient pas vraiment le choix entre accepter cette proposition «volontaire» et trouver les moyens «d'éviter les fuites massives» . Par ailleurs, il juge scandaleuse l'idée même de «payer un impôt énorme» à une industrie qui, selon lui, s'est mal occupée de ses artistes pendant des années, et n'a pas été en mesure de s'adapter.

Le débat reste donc ouvert. Si la proposition de la Warner est loin d'être parfaite, il s'agit d'une avancée saine. Surtout par rapport aux actions menées jusqu'ici aux Etats-Unis et à une certaine loi en préparation en France.

Document de présentation pour les universités (en anglais)

(1) «Internet & Création : comment reconnaître les échanges sur Internet en finançant la création», de Philippe Aigrain. Editions InLibroVeritas, 119 pages, 10 euros. Librement téléchargeable: http://www.ilv-edition.com/librairie/internet_et_creation.html

Sur le même sujet :

_ - Internet : du piratage au partage (29/10/2008)

_ - L'Amérique du Nord en route vers une licence globale pour le téléchargement ? (14/03/2008)

_ - Téléchargement : Un filtre à la fac (18/11/2008)

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