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Libération

Wikileaks attaqué à la source

par Camille Gévaudan
publié le 7 juin 2010 à 17h49
(mis à jour le 7 juin 2010 à 17h51)

La stratégie est très précise : «Les sites comme Wikileaks.org utilisent la confiance comme centre de gravité, en protégeant l'anonymat des personnes qui leur fournissent les documents. L'identification de ces taupes, le fait de dévoiler leur identité, de les renvoyer, de les poursuivre en justice pourrait endommager ou détruire ce centre de gravité et inciter les personnes tentées de fournir des informations à Wikileaks.org à ne pas le faire.»

Le rapport de la CIA, qui devait rester confidentiel ( ici en PDF ), date de 2008 : identifier les taupes qui fournissent le site Wikileaks en documents classifiés, les dénoncer sur la place publique puis les attaquer en justice. L'agence de renseignement semblait suffisamment gênée par les fuites répétées de secrets d'Etat américains pour prendre des mesures visant à décrédibiliser le site -- «détruire son centre de gravité» , selon leur vocabulaire plus guerrier. Force est de constater que les premières étapes du plan d'attaque étaient réalisables : deux mois après la fuite très médiatisée d'une bavure américaine en Irak , un jeune soldat américain est officiellement suspecté d'avoir envoyé la vidéo à Wikileaks. Il est arrêté puis placé en détention au Koweit, il y a deux semaines. Son nom est dévoilé : il s'appelle Brad Manning. Son âge aussi : 22 ans. Son visage de même : deux photos circulent déjà. L'une en uniforme, l'autre dans un cadre privé, chipée sur le profil Facebook du jeune homme.

Le jeune soldat aurait lui-même avoué être à l'origine de la fuite lors de conversations en ligne avec l'ex-hacker américain Adrian Lamo . «Si tu avais accès à des réseaux classifiés 14 heures par jour, 7 jours par semaine et pendant 8 mois, que ferais-tu ?» lui aurait demandé Manning. À cette question précise, on ne sait pas ce que Lamo a répondu. Mais on sait en revanche qu'il a transmis les archives de cet entretien au site Wired ainsi qu'à l'armée américaine et au FBI lors d'un rendez-vous au Starbucks du coin de sa rue. Le hacker, qui s'est fait connaître pour ses intrusions dans le système informatique du New York Times , de Yahoo! News et de Microsoft, se dit convaincu que «les agissements de Manning étaient véritablement dangereux pour la sécurité nationale américaine. Je n'aurais pas fait ça s'il n'y avait pas des vies en danger. En pleine guerre, il essayait de diffuser autant d'informations confidentielles que possible, en les lâchant dans la nature.»

Mais n'y a-t-il qu'une seule balance, dans cette sombre histoire ? Kevin Poulsen et Kim Zetter, auteurs de l'article sur Wired , n'hésitent pas à publier la photo privée du jeune Manning et ne sont pas avares en détails sur le déroulement de la dénonciation. Date des rendez-vous secrets avec les responsables du FBI, nom du bureau pour lequel ils travaillent, citations du hacker avec qui ils sont en contact direct, inquiétude de la tante de Manning, qui n'était pas au courant de son arrestation avant que Wired ne la mette au jus : miam, ça croustille... Les administrateurs de Wikileaks n'hésitent pas à mettre le hacker et les journalistes dans le même sac : «Adrian Lamo et Kevin Poulsen sont des félons notoires, informateurs et manipulateurs» , accusent-ils sur le compte Twitter de la plateforme.

Quant à Brad Manning, il est hors de question de confirmer qu'il a joué un rôle quelconque dans la fuite. Wikileaks jure «ne pas collecter d'informations personnelles sur ses sources» , mais rappelle toute l'estime qu'il porte aux défenseurs de la vérité : «Si Brad Manning est bien l'auteur de la fuite sur le "meurtre collatéral" et le "massacre de Garani", c'est sans aucun doute possible un héros national» . La vidéo surnommée «massacre de Garani» date de mai 2009, et montre une frappe aérienne sur le village afghan de Garani qui aurait fait 100 morts civils selon le gouvernement local. D'après ses propos rapportés par les sources de Wired, Manning semble bien loin d'être le jeune homme naïf et inconséquent que décrit Lamo. Il dit agir par conviction que «ces choses incroyables et affreuses» cachées par l'armée américaine n'ont pas leur juste place «sur le serveur d'une sombre pièce à Washington DC» : «elles appartiennent au domaine public» .

Sur le même sujet :

WikiLeaks, les fuites en avant (18/05/2010)

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