Wikipédia au secours de la recherche ?

par Emilie MASSEMIN
publié le 22 mai 2012 à 18h34

Le savoir coûte cher, trop cher, surtout lorsqu'il est compilé dans des revues scientifiques honteusement onéreuses. Fort de cette constatation, David Willetts, le ministre britannique des universités et de la science, a récemment contacté Jimmy Wales, fondateur de Wikipédia. Objectif: faire aboutir le Gateway to Research Project («Projet de passerelle vers la recherche»), «une plateforme en ligne permettant à chacun de consulter gratuitement et sans condition toutes les publications subventionnées par l'État britannique» . «À partir du moment où les contribuables placent leur argent dans la recherche intellectuelle, on ne peut pas leur interdire d'y accéder» , a justifié David Willetts le 3mai dernier, dans le cadre d'une interview accordée au quotidien britannique The Guardian .

Ce portail devrait voir le jour au mieux en 2014. Il reposera sur le même principe de commentaires et de discussions que Wikipédia: les chercheurs pourront ainsi corriger, discuter et recommander les articles de leurs pairs. David Willetts considère pour ce faire que «les conseils de la personne qui a créé Wikipédia (...) seront extrêmement utiles» , notamment «sur le format dans lequel les articles académiques devront être publiés et les normes de données» , et souligne que «Jimmy Wales peut s'assurer que nous maximiserons le potentiel collaboratif et la valeur ajoutée d'un tel portail» .

Cité par le Guardian , David Prosser, directeur exécutif du réseau Research Libraries UK d'une trentaine de bibliothèques universitaires en Grande-Bretagne et en Irlande, se réjouit que ce projet œuvre pour une évolution vers des données de recherches standardisée: «Le souci c'est qu'il y a toutes ces données, et elles sont dans des tas de formats différents, et ne sont pas interopérables, et pas archivées correctement, et cela va disparaître et il y a un danger de trou noir des données. Le fait que le gouvernement parle de faire quelque chose pour ça est absolument fabuleux.» Quant au ministre des universités et de la science, il annonce d'ores et déjà «un bouleversement sismique pour l'édition scientifique» .

Des publications scientifiques inabordables

Cette initiative s'inscrit dans un contexte de vaste remise en question du système des publications des recherches scientifiques, dans le monde entier. Le 21janvier dernier, Timothy Gowers, décoré de la médaille Fields en 1998, publie sur son blog un billet dans lequel il explique sa décision de boycotter le néerlandais Elsevier, l'un des plus grands groupes d'édition de revues scientifiques avec quelque 2000 titres différents. Motif, des prix prohibitifs: l'abonnement annuel à Biochimica et Biophysica Acta , la revue la plus chère du catalogue, se monnaye à 18710 euros ; mais aussi des systèmes d'abonnements à des «bouquets» de titres, ainsi que le soutien du groupe aux lois Sopa , Pipa et RWA -- ce dernier, le «Research Works Act» , visant à empêcher le libre accès aux recherches même si elles sont financées par des fonds publics.

Une semaine plus tard, 34mathématiciens lui ont déjà emboîté le pas. Ensemble, ils rédigent un texte, The Cost of Knowledge («Le coût du savoir»), dans lequel ils reprennent les arguments de Gowers. A ce jour, 11775 se sont associés à cette pétition, s'engageant à boycotter le groupe Elsevier et à ne plus participer à ses jurys de relecture. En France, des mathématiciens s'étaient déjà mobilisés contre une autre maison d'édition, Springer. Une pétition avait été mise en ligne dès le 5janvier, qui dénoncent comme «inacceptables» deux clauses imposées par Springer: l' «impossibilité de réduire le montant engagé en sélectionnant les revues auxquelles les bibliothèques s'abonnent» et l' «augmentation contractuelle des prix chaque année, très supérieure à l'inflation» .

Le 17avril dernier, l'université américaine de Harvard, une des mieux dotées au monde, annonçait le plus pouvoir faire face aux prix des abonnements aux revues scientifiques, dont le coût «s'élève à 3,73millions de dollars actuellement» . Espérons que ces initiatives aboutiront à une prise de conscience collective du problème du coût d'accès à la connaissance, et seront l'amorce d'une évolution en profondeur des pratiques des maisons d'édition.

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