Les erreurs traquées de Wikipédia

par Frédérique Roussel
publié le 9 juillet 2007 à 10h57
(mis à jour le 24 juillet 2007 à 10h31)

«En 2001, Pierre Assouline a remporté le championnat de France de jeu de paume.» Voilà un trophée qui détonne dans le pedigree de l'écrivain et ancien rédacteur en chef du magazine Lire . Mais la phrase, piochée sur Wikipédia , est en réalité l'œuvre de cinq étudiants du master de journalisme de Sciences-Po (1), qui souhaitaient voir à quel point il était possible de vandaliser les notices de l'encyclopédie en ligne, et combien de temps le détournement pouvait perdurer. Trop longtemps à leur goût. Ainsi, la «confession catholique» , malicieusement accolée par leurs soins à l'Anglican Tony Blair le 2 mai 2007 à 10h14, est restée en ligne plusieurs semaines.

Ce jeu du cheval de Troie fait partie d'une longue enquête que ces étudiants ont réalisée sur Wikipédia, et qui alimente les controverses sur sa fiabilité. Comment ont-ils eu l'idée de s'attaquer à cette pieuvre qui grossit depuis sa naissance, en janvier 2001 ? C'est leur professeur lui-même qui leur a suggéré cette piste. Egalement blogueur émérite ( La République des livres ), Pierre Assouline a déjà eu maille à partir avec les «Wikipédiens». Dans un post intitulé L'affaire Wikipédia, daté du 9 janvier 2007, il avait critiqué le manque d'objectivité de l'article sur l'affaire Dreyfus. Depuis, il y a eu de sévères passes d'armes entre «Wikipédiens» et Assouline. «En début d'année, j'ai eu des échanges assez vifs avec des étudiants qui n'étaient pas du tout d'accord avec plusieurs de mes billets sur le sujet, explique Pierre Assouline. J'ai pensé que cela valait le coup de faire ce qu'aucun journal n'a fait jusqu'à présent : plusieurs mois d'enquête à plusieurs pour démonter le mécanisme.»

L'enquête de 67 pages, intitulée La révolution Wikipédia, les encyclopédies vont-elles mourir? , enfonce le clou sur l'utilisation croissante par les jeunes générations de ce site, qui compte plus de sept millions d'articles : «Ce sont bien les systèmes de tous les pays occidentaux qui sont affectés par le développement et la généralisation de Wikipédia auprès des élèves.» L'enquête met les points sur les «i». Notamment à propos d'un article de la revue Nature de décembre 2005, qui comparait 42 articles scientifiques de Wikipédia et de l'encyclopédie Britannica. Celui-ci montrait que la première était largement aussi bien faite que la seconde. «Cette enquête est citée en référence dans les médias pour preuve de la fiabilité de Wikipédia, alors qu'elle ne peut pas être représentative» , explique Béatrice Roman-Amat, l'une des auteurs de La révolution Wikipédia . Nature n'a en effet choisi que des articles scientifiques pointus, le domaine où Wikipédia est la meilleure. La cyber-encyclopédie demeure plus discutable dans d'autres sphères susceptibles de manipulation ou de vandalisme : «Dans des domaines sensibles comme l'histoire ou la politique, on assiste souvent à des guerres idéologiques.» Nature , désireuse de comparer des articles de même taille, en a même coupé certains, originaires de Britannica ! L'enquête de Nature «souffre d'un manque de rigueur à de multiples niveaux» . Et pan pour Nature !

Les principaux poisons de l'encyclopédie en ligne sont les affabulateurs, ceux qui s'amusent à insérer des erreurs. Cas exemplaire, cité par le travail des étudiants de Sciences-Po, celui de John Seigenthaler, journaliste américain à la retraite. Il a découvert un jour sur Wikipédia qu'il avait été suspecté d'avoir pris part à l'élaboration des attentats contre les Kennedy, et qu'il aurait vécu treize ans en Union soviétique ! L'énormité est restée en ligne durant cent trente-deux jours. Certaines notices ressortent plus joliment du registre poétique, comme celle sur l'imaginaire île de Porchesia, supprimée le 30 septembre 2006. «Car Wikipédia, c'est aussi un immense espace de création, où la supercherie devient parfois poésie» , notent les auteurs.

Les étudiants sont allés interroger les homologues papier, qu'on imagine terrorisés. Chez Larousse et Quid , le malaise est perceptible, mais on s'affirme confiant. «Ils laissent plus de place à la culture populaire, sur toute une série de sujets, et ça peut aller des ours en peluche aux émissions de téléréalité. Des sujets absents des encyclopédies traditionnelles» , décrypte ainsi Yves Garnier de Larousse . Avec sa croissance démesurée, Wikipédia ne sera bientôt plus contrôlable, taclent les encyclopédies papier, qui disent peaufiner leur contre-attaque. Pas grand-chose ne filtre, sinon que Larousse prépare un projet sur Internet pour la rentrée.

L'historien Raymond Trousson, biographe de Diderot, établit une nette distinction entre encyclopédie collaborative et encyclopédie tout court : «Wikipédia, c'est du work in progress , en construction permanente, ce qui est la meilleure et la pire des choses, tandis que la base même de l'Encyclopédie de Diderot, c'est l'organisation du savoir.» C'est donc son absence de principe organisateur clair qui est également reprochée à Wikipédia, comme sa manie d'accumuler sur des sujets moins importants que d'autres (50 % de plus sur Nouvelle star que sur Jacques Delors), et sa propension à héberger de la propagande.

Conclusion, cet outil incontournable qu'est devenue Wikipédia nécessite de «former les jeunes à un usage raisonné et raisonnable» . Jean-Noël Lafargue, professeur d'arts plastiques à l'université Paris-VIII de Saint-Denis et administrateur de Wikipédia France, est un modèle du genre. Depuis trois ans, il note ses étudiants sur leurs contributions à la cyber-encyclopédie dans le domaine de l'art contemporain. Son séminaire s'appelle «enrichissement de l'encyclopédie Wikipédia» .

(1) Pierre Gourdain, Florence O’Kelly, Béatrice Roman-Amat, Delphine Soulas, Tassilo von Droste zu Hülshoff.

A lire également sur Ecrans :

_ - En Allemagne, des fonds publics pour remplir Wikipedia (02/07/2007)

_ - Wikipédia, la résistance s'organise (25/05/2007)

_ - Les sujets brûlants de Wikipédia en image (22/05/2007)

_ - Si Barthes questionnait Wikipédia (19/03/2007)

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