portrait

Will Ferrell, le bête qui est en nous

Ses imitations de George W. Bush ont fait la gloire de cette tête de pont de la comédie régressive américaine.
par Alexandre Hervaud
publié le 14 décembre 2010 à 0h00
(mis à jour le 15 décembre 2010 à 11h13)

De la même manière qu’on imagine volontiers Gad Elmaleh ou Dany Boon errer parfaitement incognito à Los Angeles, Will Ferrell peut déambuler dans Paris sans affoler le piéton moyen. Si ce n’est, éventuellement, à cause de sa garde-robe : quand on le rencontre, c’est vêtu d’un mix chemise rose-veste de jogging vert fluo qu’il débarque, tout sourire.

Ferrell, 43 ans, est un acteur américain révélé par l'émission comique et culte Saturday Night Live, un tremplin qui l'a mené devant les caméras de Woody Allen, Ben Stiller et autre Kevin Smith. La marque de fabrique du bonhomme, qui a toujours fait plus vieux - son goût pour les postiches et teintures diverses y est sans doute pour quelque chose - reste la bêtise humaine. «Will est très fort pour se moquer de l'Américain impudent, fier comme un petit coq, alors qu'en vérité, il n'a pas la moindre idée de ce qu'il est en train de faire», analyse Judd Apatow dans Comédie, mode d'emploi, un livre d'entretien avec Emmanuel Burdeau. On serait bien en peine de contredire le réalisateur de 40 ans, toujours puceau ou Funny People, par ailleurs producteur d'un certain nombre de comédies avec Ferrell qui ont cartonné en salles. Du moins de l'autre côté de l'Atlantique puisque, en France, la plupart de ses films souffrent d'une distribution limitée, voire inexistante. Mais la donne pourrait changer : sorti fin octobre, le très drôle Very Bad Cops, dans lequel il joue un flic pleutre au côté de Mark Wahlberg, a plutôt bien marché.

La venue de Ferrell en France pour promouvoir Megamind tient presque du paradoxe : ce film d'animation drôle et malin des studios Dreamworks (Shrek), dont il tient le rôle principal, celui d'un alien super méchant, sera vu par la majeure partie du public en version française. En plus de ne pas voir sa tête, c'est donc une autre voix, celle du bankable Kad Mérad, qu'entendront la plupart des spectateurs. Pas de quoi décourager ce père de trois enfants, marié à une Suédoise, pour qui le métier d'acteur n'a pas toujours été une évidence. «Enfant, j'avais une image très précise de ce que je voulais faire plus tard : je me voyais avec un attaché-case, un boulot fixe, et une vraie maison», explique ce fils d'un musicien et d'une enseignante élevé dans la banlieue de Los Angeles. Bien que divorcés, ses parents restent assez proches pour l'élever avec son frère. Bon élève, il se découvre assez tôt deux passions : le sport et faire marrer ses camarades («mais jamais au point de me faire virer de cours»). Il réussira des années plus tard à combiner les deux en illuminant des comédies régressives sur fond de basket (Semi-Pro), de patinage artistique (les Rois du patin) ou de course automobile (Ricky Bobby : roi du circuit).

A l'université, Ferrell suit des cours de journalisme sportif. Une fois diplômé, la télé le tente : avec son parcours, le boulot de commentateur de match lui tend les bras. Pas pour longtemps, puisqu'un changement d'orientation s'est amorcé pendant ses études avec ses virées fréquentes au Groundlings. Ce théâtre spécialisé dans l'improvisation est une véritable formation parallèle pour Ferrell qui participe à plusieurs soirées «open mic»[micro ouvert, ndlr] où n'importe qui peut monter sur scène pour proposer du stand-up plus ou moins élaboré. Remarqué là, il intègre en 1995 l'équipe de Saturday Night Live (SNL) qu'il quittera en 2002 pour se consacrer au cinéma.

L'émission phare de NBC étant diffusée depuis New York, Ferrell quitte sa Californie natale pour Big Apple. «C'était les années les plus drôles de ma vie. Et mon premier travail !» Parmi sa pléiade de personnages cultes, celui de George W. Bush qu'il commence à incarner avant même son élection à la Maison Blanche, est l'un des plus mémorables. Une teinture, un faux nez et un froncement de sourcil effacent la différence d'âge entre les deux hommes - vingt et un ans tout de même. De la même manière que Tina Fey (elle-même ancienne de SNL et présente au casting de Megamind) s'est emparée du «personnage» de Sarah Palin, Ferrell fait mourir de rire l'Amérique en ressortant mot pour mot (mais pas que, bien sûr) les véritables bourdes de W. Les deux se rencontrent une seule fois, à New York. «C'était pendant sa campagne contre Al Gore, en 2000, il était encore gouverneur du Texas. J'étais en congé ce jour-là, on m'a dit de passer au studio parce que Bush y était et voulait me rencontrer. Quand je suis arrivé, on m'a poussé vers lui sans nous présenter. En lui serrant la main, j'ai vu dans ses yeux qu'il n'avait absolument aucune idée de qui j'étais.»

Deux mandats bushiens plus tard, Ferrell retrouvera son personnage fétiche dans un one-man-show donné sur Broadway, You're welcome America. La première a lieu le 20 janvier 2009, date symbolique : c'est l'Inauguration Day, avec l'investiture d'Obama qui prête serment, et le vrai départ de Bush après huit ans au pouvoir. «La foule était électrique ce soir-là, comme si le public voulait une dernière chance pour tenter de comprendre ce président», raconte un Ferrell tout excité. Deux heures durant, il passe en revue Bush, sa vie, son œuvre, à grand renfort de piques bien senties («Kanye West a dit que je déteste les Noirs. C'est faux, je ne pense même jamais à eux»). Sympathisant démocrate sans être groupie, Ferrell a voté Obama et raille régulièrement la doctrine républicaine dans des sketches (fausse pub en faveur des assurances privées, défense d'une loi promariage gay…). Sans parler du générique de fin de Very Bad Cops, un exposé lucide et sans concession de la crise financière et des dérapages du capitalisme. Son réalisateur Adam McKay, que Ferrell rencontre pendant ses années SNL, a également mis en scène le spectacle sur Bush. Leur première incursion commune au cinéma remonte à 2004 : Présentateur vedette, la légende de Ron Burgundy, raconte les mésaventures d'une bande de reporters machos dans les années 70. Tout comme Dumb and Dumber avait, dix ans plus tôt, fait de Jim Carrey une star comique, Ferrell est propulsé dans la A-list des acteurs hollywoodiens. Son cachet explose, ses projets se montent plus facilement, mais le cinéma n'accapare pas tout son temps : depuis 2007, il gère, toujours avec McKay, le site web FunnyOrDie.com. Ce YouTube de la comédie permet aux comiques amateurs de poster leurs œuvres, mais surtout aux stars, de Marion Cotillard à Justin Bieber, de se lâcher dans de courtes vidéos - il faut voir la Môme avec des miniprothèses mammaires collées sur le front pour les besoins d'un spot pseudo-féministe délirant.

Ferrell raille souvent l’académie des Oscars pour son dédain des comédies. Simple désir de reconnaissance ? Plutôt l’ambition avouée d’un bouffon qui, tout en restant populaire, sait jongler entre humour gras et satire tout sauf allégée.

En 5 dates

16 juillet 1967 Naissance à Irvine, Californie.

1995-2002 Saturday Night Live.

2007 Lance le site FunnyOrDie.com (et gagne le MTV Movie Award du meilleur baiser avec Sacha Baron Cohen dans Ricky Bobby : roi du circuit).

2009 Incarne George W. Bush à Broadway.

15 décembre 2010 Sortie en France de Megamind.

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